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Analyse

La démocratie recule-t-elle en Afrique ?

L’Afrique vote très massivement, depuis l’installation dans les années 1990 de procédures électorales empruntées aux vieilles démocraties de l’Europe et de l’Amérique. Si les scrutins pluralistes ont profondément redessiné le paysage politique africain, la maturité électorale est encore diversement acquise et l’exercice régulier du droit de vote n’a pas débouché sur la consolidation de la démocratie à travers le continent. Analyses et perspectives.
Le phénomène des élections libres et pluralistes est bien rentré dans les mœurs politiques africaines. « Depuis le tournant démocratique du continent il y a 30 ans, près de 600 scrutins présidentiels, législatifs et locaux se sont tenus à travers le continent », rappelle Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France et auteur d’un rapport récent sur l’évolution de la démocratie en Afrique, publié par la Fondation Jean-Jaurès (1). « Seule l’Erythrée ne vote pas », ajoute le spécialiste.
Une transition démocratique
C’est au début des années 1990 que l’Afrique a renoué avec le multipartisme et des procédures électorales inspirées des démocraties occidentales. Cette nouvelle phase de la vie politique africaine a succédé à une longue période autocratique, entamée dans les années suivant les indépendances, durant laquelle des régimes monopartites avaient prospéré à travers le continent. Les élections organisées dans le cadre de ces régimes de parti unique prenaient la forme de plébiscites destinés à légitimer les autocrates au pouvoir, avec parfois un score de 100 % des voix favorables, comme cela s’est passé en Tunisie à l’époque d’Habib Bourguiba, en 1959. Accélérée par la guerre froide et la pression des bailleurs de fonds qui désormais conditionnent l’octroi de financement à la légitimité des urnes, l’émergence de la démocratie en Afrique a été aussi le résultat des luttes propres au continent africain, menées par des mouvements citoyens contre les dirigeants autocratiques. C’était la période des conférences nationales, mobilisant les forces sociales, politiques et religieuses. En 1991, le Bénin et la Zambie furent les premiers pays à organiser des élections multipartites. Ces élections ont inauguré en Afrique une longue période d’acclimatation à l'exercice électoral. Trente années se sont écoulées depuis cette période héroïque de la transition démocratique. La doxa électorale paraît aujourd’hui solidement implantée dans nombre de pays africains. Les élections pluralistes se sont imposées comme la procédure de désignation légitime des dirigeants politiques. On compte chaque année une vingtaine d’élections sur le continent. L’année 2020 qui tire à sa fin n’a pas dérogé à la règle, accueillant pas moins de onze élections présidentielles. Or, malgré l’engouement pour les élections sur le continent, le bilan de la démocratie électorale doit être pondéré à cause des soupçons de fraude qui pèsent sur la qualité des processus électoraux dans de nombreux pays où la tenue des élections est souvent source d’instabilité, de divisions et parfois de violences.
Des élections confisquées
« Héritée de l’Occident, mais ensuite adaptée aux réalités politiques et sociales du continent, l’élection en Afrique ne débouche pas automatiquement vers plus de démocratie », souligne Pierre Jacquemot. Pour ce spécialiste de l’Afrique, s’il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de la contribution des scrutins pluralistes à redessiner le paysage politique du continent, notamment en évinçant les dictateurs les plus sanguinaires, leur acclimatation aux mœurs et impératifs locaux a atteint aujourd’hui ses limites. La raison est à chercher principalement dans l’instrumentalisation encore fréquente des élections par des dirigeants pour conserver le pouvoir plutôt que d'accepter une alternance démocratique. « On n'organise pas les élections pour les perdre », aurait déclaré l’ancien président gabonais Omar Bongo faisant allusion à la défaite du Béninois Mathieu Kérékou au sortir des Conférences nationales des années 1990, qui ont profondément bouleversé la donne politique sur le continent. Cette déclaration traduit une certaine vision africaine de l’acte électif, largement partagée par la classe politique. Cette approche explique pourquoi aujourd’hui, alors que la quasi-totalité des dirigeants africains se revendiquent comme élus du peuple, les espoirs d’alternance des populations se réalisent rarement et les contestations post-électorales sont encore souvent violemment réprimées. Depuis la transition démocratique, seule une dizaine de pays sur les 54 que compte le continent ont connu des alternances politiques, alors que dans la plupart des autres pays, les élections ont tendance à conforter des régimes en place, avec certains chefs d'État installés au pouvoir depuis parfois plus de trente ans (Cameroun, Guinée équatoriale, Ouganda ou Tchad). « Sur le terrain, ce sont les fraudes, le changement par la classe politique des règles du jeu pour mieux les adapter à leur convenance, mais aussi les enjeux d’argent dans les dispositifs électoraux, qui expliquent en grande partie les blocages que rencontre depuis quelque temps la démocratie électorale africaine », décrypte Pierre Jacquemot. À ce titre, les dysfonctionnements observés lors des élections majeures qui se sont déroulées sur le continent cette année, notamment au Togo, en Guinée, en Côte d’Ivoire et plus récemment en Tanzanie, constituent des exemples marquants d...   

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