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Le Soudan à la peine face au coronavirus

Samedi dernier, le Soudan a décidé de prolonger le confinement dans la capitale Khartoum alors que le nombre de contaminations augmente. De plus en plus de voix s'élèvent pour critiquer la gestion des autorités.

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De notre correspondante à Khartoum,

L'hôpital Tayba à Omdurman, ville voisine de Khartoum, tourne au ralenti depuis le début du mois de mai. Seul le service des urgences est ouvert. « Nous avons reçu deux patients atteints du Covid-19, dont l'un est décédé, explique le docteur Rawnag Tarik. L'hôpital a été fermé pendant plusieurs jours pour une désinfection totale  et une grande partie du personnel soignant est en isolement. »

Ce scénario se répète régulièrement depuis quelques semaines : « À chaque fois qu'il y a un cas quelque part, l'hôpital est fermé et l'équipe médicale placée en quarantaine, ce qui a un effet négatif sur tout le système de santé », déplore le Dr. Khalid Abdelrahman Abdelsalam, spécialiste des maladies tropicales et consultant pour une organisation humanitaire internationale. « C'est une réaction exagérée », ajoute-t-il. Selon lui, les soignants n'évaluent pas toujours les risques à leur juste mesure : « Parfois, les médecins ou infirmiers disent avoir été exposés au virus alors qu'ils n'ont pas tous eu de contact direct avec le patient. Ils paniquent et sont influencés par ce qu'ils lisent sur les réseaux sociaux. »

La peur de se rendre au travail

À Khartoum, l'hôpital privé où le Dr. Abu Bakr Ali Mahjoub exerce est à l'arrêt depuis que des patients atteints du coronavirus y ont été détectés. Comme beaucoup de ses collègues, le jeune médecin a peur d'aller travailler : « Nous n'avons pas d'équipement de protection individuelle, pas de sur-blouses et pas assez de masques. Ce n'est pas juste de demander aux soignants de travailler dans ces conditions ».

La fermeture de certains établissements affaiblit un système de santé déjà fragile, et complique l'accès aux soins pour les patients atteints d'autres maladies que le coronavirus. « Or, ceux qui ont des maladies cardiaques, rénales, du diabète ou encore les femmes enceintes doivent absolument continuer d'avoir accès aux soins », insiste  Annette Heinzelmann, coordinatrice de la santé d'urgence pour l'OMS au Soudan, qui enchaîne les réunions. « Nous en discutons avec les ONG et avec le ministère de la Santé, qui est conscient du problème ».

À écouter aussi : Soudan: la crise du coronavirus vient s’ajouter à une crise économique sévère

Depuis le début de l'épidémie dans le pays, le ministre de la santé, le Dr. Akram Ali Al-Tom, tient régulièrement des conférences de presse. Une transparence qui tranche avec l'opacité qui régnait sous le régime précédent. Mais le ministre est désormais sur la sellette. Lundi 11 mai, le comité de résistance interne au ministère de la Santé a appelé à son départ, lui reprochant sa gestion de l'épidémie. Selon des membres de ce comité, « des patients atteints d'autres maladies que le Covid-19 sont morts faute d'accès aux soins médicaux ». Le lendemain, cinq directeurs de divers départements du ministère de la Santé ont présenté leur démission. Ils dénoncent un « manque de consultation et de démocratie dans le processus de décision ».    

Une mauvaise coordination

De leur côté, plusieurs médecins contactés par RFI se plaignent d'une « absence de vision et de leadership » au sein du ministère de la Santé. Parmi les problèmes rencontrés sur le terrain, le Dr. Abu Bakr Ali Mahjoub regrette la mauvaise coordination avec le ministère de la Santé : « Tous les hôpitaux de Khartoum devaient suivre un protocole : si nous avions une suspicion de coronavirus, nous devions appeler le ministère de la Santé qui envoyait une équipe dans les 2 heures pour transférer le patient dans l'un de leurs centres d'isolement. Mais maintenant ils ont beaucoup de retard, ils viennent après deux ou trois jours. Pendant ce temps, il y a donc plus de contacts avec le patient, et donc plus de risques de contaminations. »

Le praticien ne cache pas son impatience vis-à-vis des autorités : « Ils devraient savoir que le nombre de cas allait augmenter. Nous sommes dans une situation critique, nous voulons savoir quel est le plan du ministère de la Santé. » Lui et ses collègues demandent à être mieux protégés et une meilleure organisation au niveau du ministère.

À ce jour, le Covid-19 a contaminé 1 526 personnes et fait 74 morts au Soudan. Mais le Dr. Khalid Abdelrahman Abdelsalam soupçonne que le nombre de personnes atteintes soit plus élevé. Selon lui, certains malades craignent une stigmatisation : « À cause de la honte associée à la maladie, les gens cachent leur symptômes. Ils vont d'abord acheter des médicaments à la pharmacie ou prennent des traitements traditionnels. Comme cela ne fonctionne pas, ils finissent par aller à l'hôpital, mais ils arrivent dans un mauvais état ». La semaine dernière, un hôpital d'Omdurman a été saccagé par des habitants du quartier. Une fausse rumeur avait circulé selon laquelle l'établissement serait transformé en centre d'isolement pour les malades du Covid-19.

En première ligne contre l'épidémie, « les soignants sont mal payés et ne se sentent pas soutenus », regrette un médecin urgentiste de Khartoum qui souhaite rester anonyme. Ces dernières semaines, plusieurs soignants ont été victimes d'agressions. « Or, il n'y a pas de loi spécifique pour protéger les professionnels de santé et les hôpitaux, alors qu'il y en a une pour protéger les juges, les policiers ou les militaires ». Les médecins qui ont joué un rôle de premier plan pendant la révolution l'année dernière sont déçus, d'après l'urgentiste : « Ils ont le sentiment de ne pas être une priorité pour le gouvernement de transition. Cela ajoute au moral en berne des médecins. »

À lire aussi : Le Soudan, un an après la chute d'Omar el-Béchir

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