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«Luanda Leaks»: quand la Sonangol travaille pour vous

Alors que la justice angolaise gèle les avoirs des proches de l’ancien président José Eduardo dos Santos, la fuite de plus de 715 000 documents confidentiels éclaire sous un nouveau jour les relations d’affaires entre Isabel dos Santos, fille de l’ex-chef d’État, et son mari Sindika Dokolo. Selon les « Luanda Leaks », une enquête coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), les deux milliardaires ont très largement bénéficié de leur proximité avec la compagnie pétrolière publique angolaise, la Sonangol.

En ce 16 juin 2006, dans le luxueux hôtel Sheraton Park Tower de Londres se tient une assemblée générale un peu particulière. Elle réunit les dirigeants de la toute jeune compagnie angolaise de téléphonie mobile, Unitel SA, qui opère depuis cinq années à peine. Il est 12h30 et tous les actionnaires sont « dûment représentés ». Il y a « l’ingénieur Isabel dos Santos, également administratrice ». La fille du président José Eduardo dos Santos, alors au pouvoir, représente Vidatel, un de ces véhicules financiers qu’elle affectionne : basé dans les îles Vierges britanniques, et possédant 25 % du capital. Présent également, le puissant président de la Sonangol et futur vice-président de l’Angola, Manuel Vicente. La compagnie pétrolière nationale a investi aux côtés de l’aînée du chef de l’État. PT Ventures, une société portugaise de télécommunications, qui a aujourd’hui pour actionnaire majoritaire le poids lourd brésilien Oi, et une mystérieuse compagnie angolaise représentée par un général angolais à la retraite, Geni, détiennent les deux autres quarts.

Isabel dos Santos, le 5 février 2018. © MIGUEL RIOPA / AFP

Cette année-là, les actionnaires s’octroient 144 millions de dollars de dividendes. Cinq ans plus tard, en 2011, ce sera 740 millions. Les assemblées générales se succèdent et se tiennent toujours dans des palaces à l’étranger, de Londres à Lisbonne. L'enquête sur les 715 000 documents des « Luanda Leaks » révèle qu’au moins 5 milliards de dollars de dividendes ont été versés entre 2005 et 2016 aux actionnaires d’Unitel. Au moins un quart revient à la Sonangol et un autre quart à Isabel dos Santos elle-même.

« Au profit de la fille du président d’Angola »

L’heureux partage ne dure pas. En octobre 2015, PT Ventures réclame 600 millions de dollars à ses partenaires angolais devant la Cour internationale d’arbitrage (ICC) de Paris et les accuse de « détourner les recettes vers d’autres entreprises commerciales qui enrichissent les défendeurs, en particulier au profit d’Isabel dos Santos, la fille du président de l’Angola ». La principale intéressée s’explique quelques semaines plus tard devant la même instance en affirmant que PT Ventures n’a pas reçu les dividendes promis, car ils devaient être versés en kwanza. La monnaie nationale angolaise n’est plus convertible, PT Ventures n’a, selon Isabel dos Santos, ni compte bancaire en Angola ni reçu l’autorisation de convertir les montants dus en devise. Quand PT Ventures obtient une mesure mondiale de gel des opérations d’Unitel SA, la « princesse d’Angola » transfère des centaines de millions sur ses comptes personnels ou ceux de ses sociétés. Là encore, Isabel dos Santos justifie cette mesure par la dépréciation du kwanza et la nécessité d’investir, notamment dans l’immobilier, pour ne rien perdre. La Sonangol ne se plaint encore de rien et se retrouve sur le banc des accusés avec la fille du président dos Santos. Les associés angolais d’Unitel SA serrent toujours les rangs.

Isabel a toujours été la reine du pétrole. Fille chérie de José Eduardo dos Santos et femme d’affaires décomplexée, elle a été couronnée sept années consécutives comme la plus riche d’Afrique par le magazine américain Forbes. C’est justement en 2016, deux ans avant de quitter le pouvoir que son père la nomme présidente du conseil d’administration de la Sonangol. La compagnie nationale connaît de graves difficultés financières, officiellement à cause de l’effondrement des cours du pétrole. Ce n’est sans doute pas la seule raison. Dans son rapport de décembre 2011, le Fonds monétaire internationale (FMI) avait pointé la disparition de 32 milliards de recettes des comptes de la Sonangol, dirigée à l’époque, par le tout puissant Manuel Vicente. Le gouvernement angolais avait couvert ces dépenses en affirmant qu’il s’agissait d’opérations menées avec sa validation sans être « enregistrées dans les comptes budgétaires ».

Quand l’ingénieur Isabel prend la tête de la Sonangol, l’entreprise d’État reste l’un des fleurons de l’économie du pays. Mais à une époque où la trop riche Angola n’a plus d’argent – ni dollars ni euros –, cette nomination passe mal, perçue comme une nouvelle faveur envers la princesse Isabel. De plus en plus de voix, y compris au sein du parti État, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), demandent à « Zedu » de renoncer au pouvoir.

« Pendant des années, personne n’a voulu relever les contradictions », dénonce le journaliste angolais et activiste anticorruption Rafael Marquès de Morais, principal lanceur d’alerte d’Angola, honni par le régime Dos Santos et aujourd’hui décoré par son successeur João Lourenço. « C’était rageant de voir les médias glorifier Isabel, la self-made-woman, fille du président, et son mari, le collectionneur d’art africain, fils de banquier du maréchal Mobutu sans jamais qu’il ne soit posé la question de l’origine de leur fortune. » Pour cette bête noire du clan, personne ne pouvait ignorer le pillage des ressources de son pays, depuis l’entrée dans le capital d’Isabel aux côtés de la Sonangol dans Unitel SA. L’époux et partenaire d’affaires Sindika Dokolo n’y voit, lui, que le fruit du travail de « l’ingénieur Isabel », spécialisée dans les télécommunications. « C’est elle, l’architecte du réseau qui a fait le succès d’Unitel et c’était un excellent investissement pour la Sonangol, ces parts valent aujourd’hui plus d’un milliard de dollars », rétorque-t-il.

Sindika Dokolo en première ligne

M. Dokolo est également très fier de l’entrée dans le capital du géant de l’énergie de l’ancienne puissance coloniale, Galp, de sociétés à capital angolais. « C’est encore une idée d’Isabel », assure-t-il, « la Sonangol n’avait ni les contacts ni les capacités pour réaliser un montage financier aussi ambitieux. » L’homme d’affaires congolais assure même que le projet était encore plus audacieux : il était question de tenter une « fusion-achat » du géant de l’énergie espagnole, CEPSA. Il refuse l’idée que la compagnie pétrolière angolaise puisse se dire lésée par cette opération lucrative et prestigieuse.

Tout commence en 2005. Esperaza Holding B. V., filiale de l...   

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