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«Luanda Leaks»: avec de Grisogono, la valse des diamants

Suite des révélations des « Luanda Leaks », en partenariat avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Alors que la justice angolaise a décidé de geler les avoirs d'Isabel dos Santos et de son époux Sindika Dokolo - les accusant d’avoir abusé de la compagnie diamantifère d’État, la Sodiam -, la fuite de dizaines de milliers de documents montre comment le couple s'est emparé des diamants de l'Angola. Enquête.

Les échanges d’e-mails fusent en ce mardi 11 mars 2014 entre les murs de la discrète société de gestion Fidequity, logée boulevard de la liberté à Lisbonne, au Portugal. Principaux gestionnaires d’affaires de la richissime Isabel dos Santos et de son époux Sindika Dokolo, les employés de cette entreprise, qui leur appartient, sont habitués aux montages financiers les plus inattendus. Mais ce jour-là, son directeur financier fulmine. « Les 4 millions, c’est l’argent de la Sodiam », rappelle Antonio Fernandès. « Est-il logique qu’une entreprise de Sindika Dokolo facture des intérêts sur de l’argent provenant de la société diamantifère d’État ? » Ce courriel, comme des milliers d’autres d’employés de Fidequity, a été confié par un lanceur d’alerte à la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF), partenaire de l'ICIJ sur cette enquête. Principal mis en cause, M. Sindika Dokolo dénonce le vol et la manipulation de ces données personnelles.

La question posée par M. Fernandès est au cœur de ce qui oppose aujourd’hui le régime du nouveau président João Lourenço à la famille de son prédécesseur José Eduardo dos Santos : l’utilisation d’argent public pour le rachat en 2012 du joaillier suisse De Grisogono. L’ami et fondateur de la marque, le fantasque Fawaz Gruosi, connaît des déboires financiers depuis 2007 et a besoin d’éponger ses dettes. « On voulait créer un "de Beers" angolais, de l’extraction à la commercialisation, mais la Sodiam a refusé, c’est l’une des raisons de l’échec de l’opération », assure M. Dokolo. L’ancien oligarque balaye avec la même assurance les doutes sur le bien-fondé de cette prise de participation. « Ça aurait été impossible pour l’État angolais, comme pour nous, d’acquérir un autre joaillier de luxe. Est-ce que vous savez à combien ça se négocie ? Plus de 10 milliards pour Tiffany’s ! »

Fawaz Gruosi en 2016. © Marc Piasecki/WireImage

Dans l’un de ces centaines de milliers d’e-mails qu’ICIJ – et ses 36 partenaires dont Radio France Internationale (RFI) – ont pu consulter, M. Antonio Fernandès rappelle que la Sodiam, la société diamantifère d’État en Angola, a investi 45 millions de dollars en février 2012, quatre millions de dollars pour payer sa participation, le reste sert essentiellement à éponger les dettes du joaillier suisse. Melbourne Investments BV, son partenaire – une des sociétés aux Pays-Bas de Sindika Dokolo – injecte quatre millions pour payer ses actions. Même si les investissements initiaux sont déséquilibrés, ils sont bien présentés sur le papier comme coactionnaires à parts égales de Victoria Holding Limited, une joint-venture basée à Malte. Cette dernière devient du même coup l’actionnaire majoritaire de l’extravagant De Grisogono.

Un joaillier « offert » par José Eduardo dos Santos ?

Cette transaction motive la décision de la justice angolaise de geler les avoirs et comptes du couple en Angola. Selon la décision rendue le 23 décembre 2019, l’État angolais accuse devant un tribunal de Luanda « l’ancien président de la République » d’avoir « décidé d’acheter la dette de la société De Grisogono – joaillier de luxe – avec les banques et d’offrir l’entreprise aux défendeurs, sa fille et son gendre ». José Eduardo dos Santos, alors au pouvoir depuis 1979, aurait « donné instruction » à la Sodiam « de se lancer dans l’entreprise en assumant toutes les charges inhérentes à celle-ci ». Le nouveau régime à Luanda affirme aujourd’hui que près de 120 millions de dollars ont été prêtés par la société d’État depuis 2012 alors même qu’elle n’a in fine qu’une « participation minoritaire de 28,7 % » du capital social de De Grisogono. Il assure que la Sodiam, elle-même, n’a reçu « aucun dividende » et ne « pas avoir participé à la gestion des sociétés étrangères dans lesquelles elle a investi son capital, s’étant limitée à payer le cofinancement ». Des accusations balayées du revers de la main par le couple qui les qualifie de « politiques ».

Il y a des jours où même à Fidequity, les gestionnaires de portefeuilles semblent avoir du mal à comprendre toutes les subtilités des montages de M. Dokolo. Le 11 mars 2014, son directeur financier s’énerve parce que quelques mois plus tôt, il a déjà tenté de clarifier par e-mail qu’il n’y avait « pas d’intérêt sur le financement de l’investissement du prêt de Melbourne ». Même pour Antonio Fernandès, il semble exagéré que la société néerlandaise perçoive des intérêts sur de l’argent public. Il ne s’étonne pas en revanche que ce premier investissement ne vienne pas directement de la poche de son patron.

Les deux premières années de gestion de Victoria Holding Limited semblent avoir été chaotiques. Ce n’est qu’en 2014 que sera adoptée la reddition des comptes au 31 décembre 2012. La délicate opération est confiée au géant de l’audit américain PricewaterhouseCoopers International Limited (PwC), à la fois expert-comptable et auditeur de plusieurs des sociétés du couple. Branle-bas de combat à Fidequity, il manque encore des documents, des accords de prêts qui n’ont pas été « finalisés ». Pour la société de gestion du couple, toutes les informations ne sont pas non plus bonnes à partager. Sur demande de ses supérieurs, Antonio Fernandès obtient des comptables de PwC de taire le nom des bénéficiaires ultimes de l’opération. Cette discrétion est imposée, non seulement pour Sindika Dokolo, mais aussi pour la Sodiam. Pourtant, le directeur financier sait pertinemment que l’homme d’affaires est présent à double titre, comme coactionnaire de Victoria Holding Limited, mais aussi à hauteur de 0,7 % « par l’intermédiaire d’une société fiduciaire ».

Un bonus de cinq millions pour le rachat

« Victoria Holding Limited a conclu un accord de consultance avec Almerk International Limited basé à Tortola, dans les îles vierges britanniques », not...   

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