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Pie Tshibanda, le psy du Katanga devenu le comique des sans voix

Humoriste, écrivain et psychologue, Pie Tshibanda est une notoriété de la diaspora congolaise. Cela fait tout juste vingt ans que son stand-up autobiographique « Un fou noir au pays des blancs » fait un carton partout où il passe. Réfugié en Belgique depuis 1994, il reste un observateur attentif de la vie politique de la RDC.

Dans son village wallon de Tangissart, au sud de Bruxelles, le fou noir est plus connu que le loup blanc. Et pour cause : le jour de son installation, un beau jour de 1995, il prend une chaise et va s'assoir sous un arbre. L'ingénu pense pouvoir ainsi s'intégrer, et vaincre le spleen de la solitude, lui qui a grandi dans une famille de onze. Las, personne ne vient à sa rencontre. Il décide alors d'appliquer le vieil adage africain : « c'est celui qui a froid qui va vers le feu. » Il parcourt le village, tend le pouce, sonne aux portes pour se présenter à ses voisins. A la messe, il entend les fidèles chanter : « Laisserons-nous à notre table un peu d'espace à l’étranger ? Trouvera-t-il, quand il viendra, un peu de pain et d'amitié ? / » Du pain béni pour Pie ! Téméraire, il demande le micro au curé et reprend la strophe devant l’assemblée mise au pied du mur de l'inclusion, et se fait ovationner.

Un pouvoir d'empathie

« Il n'y a que les fous qui agissent ainsi, non ? », sourit Pie Tshibanda, 67 ans, dans la modeste pièce de sa maison de brique où il reçoit aujourd'hui ses visiteurs. Un jour de 1999, à une manifestation de sans-papiers, son histoire tragi-comique fait des hilares autour de lui. Il est repéré et poussé sur les planches. Deux décennies plus tard, son stand-up Un Fou noir au pays des blancs, joué près de 2 000 fois dans le monde francophone, a conservé toute son acuité. Il raconte le Congo et ses richesses, la colonisation, le changement de continent. D'une finesse rare, il recèle ce génie des oeuvres construites sur plusieurs degrés de lecture et qui nourrissent les 7 à 77 ans. C'est une arme d'éducation massive qui « jette des ponts » entre l'Afrique et l'Occident, quitte à bousculer les consciences, toujours en humour et en psychologie : « Les gens me disent "Pie, j'ai ri", mais est-ce que j'aurais dû rire ? Tu nous as donné des baffes, mais avec générosité. »

« Les gens l'adorent en Belgique, il est très populaire, assure la journaliste belge Colette Braeckman qui le connaît depuis vingt-cinq ans. Il aide les gens à se parler, remet les choses à leur place et amène les Belges à se remettre en question. » Sa vision de l'intégration, il la raconte en images : « En Afrique, on a un proverbe : "quand tu vas à l'étranger, ne danse pas le premier, regarde comment ils dansent là-bas et danse comme eux." Mais je refuse une assimilation qui me neutralise entièrement. Car moi aussi, j'ai un pas de danse à montrer. C'est ça, s'intégrer. Ca veut dire m'appuyer sur ce que vous faites, découvrir les bonnes valeurs de chez vous, mais si je peux vous dire un petit quelque chose en retour... »

Ecrivain, psychologue diplômé de l'université de Kisangani, formateur pour adultes, intervenant dans les collèges - on fait appel à lui pour décrypter la tragédie de Charlie Hebdo -, conteur intarissable et même sexologue : les ressources de Pie Tshibanda semblent inépuisables et s'autoalimentent. D'où tire-t-il cette puissance morale qui transcende son spectacle ? « De la souffrance », souffle-t-il. L'épuration, la mort, la solitude de l'immigré lui ont conféré un « pouvoir d'empathie » : « Les larmes du poisson se confondent avec l'eau de la mer, et personne ne se rend compte que le poisson pleure aussi », récite-t-il. Son nom semblait prédestiné : Tshibanda Wamuela Bujitu, « celui qui avance avec le poids des autres sur les épaules ». Vaste programme !

Personnalité renommée en Belgique, il l'est probablement moins désormais en RDC où les générations se renouvellent et où l'expatriation est le meilleur allié de l'oubli. « Il a explosé avec son spectacle du Fou noir. Je n'ai pas de retours du pays sur lui mais si vous n'êtes pas présent... », remarque le journaliste Cheik Fita, qui l'a connu à Kolwezi et rejoint en Belgique. Ce critique subtil et constant de la mal gouvernance de Kinshasa depuis les années Mobutu veut incarner « ...   

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