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L’assurance des pêcheurs du lac Tanganyika : Entre volonté et obstacles financiers

Depuis plus de deux ans, pour la première fois au Burundi, les sociétés d’assurances tentent de sensibiliser les pêcheurs du lac Tanganyika à souscrire à une assurance. Cependant, ces derniers se heurtent à des difficultés financières pour acquérir les navires métalliques et signer les contrats de pêche, comme l’exigent les assureurs. Ils demandent donc l’intervention des institutions financières pour l’octroi de prêts.

Le jeudi 11 décembre 2024, il est sept heures du matin. Nous nous trouvons sur une petite plage de pêche du lac Tanganyika, près du stade Olympique, dans la zone Kanyosha, commune de Muha, quartier Nyabugete, au sud de Bujumbura. L’air est frais et l’eau est calme. L’endroit est animé par des pêcheurs, leurs patrons, des motocyclettes et des femmes qui vendent du poisson. Certaines portent des bassins sur la tête, tandis que d’autres sont installées devant leurs stands. Tous regardent le lac, en attendant la pêche. Le rivage est bordé de pirogues et, à une trentaine de mètres, on trouve de petites maisons de restauration.

À ce moment-là, quatre autres navires de pêche (deux équipes) accostent, portant huit pêcheurs et deux caisses de fretins, appelés « Daaga » en swahili, par équipe. L’animation du marché s’intensifie : les gens se dirigent vers les pirogues et les patrons prennent les caisses pour les négocier. Les pêcheurs, quant à eux, s’occupent de ranger leurs filets. C’est l’occasion de discuter avec eux.

Des entretiens réalisés avec les pêcheurs mettent en lumière les dangers liés à leur métier, notamment les risques de chute et de noyade, qui menacent leur vie. « Ce métier comporte des risques », confie Erneste Tuyisenge, pêcheur depuis quatre ans.

« Les pêcheurs sont exposés à des dangers tels que la chute ou la noyade. Il arrive parfois qu’ils glissent et tombent directement dans l’eau depuis la berge », explique André Ntibahoye, pêcheur depuis plus de vingt-cinq ans.

André Ntibahoye souligne l’importance de l’assurance en évoquant un incident survenu il y a plus de dix ans. « Lors de mon troisième naufrage, un incendie d’origine inconnue s’est déclaré alors que j’étais debout, un seau à la main, dans le bateau. J’ai perdu connaissance et je suis tombé dans le lac. Le lendemain matin, je me suis retrouvé à l’hôpital, grâce à l’assurance souscrite par mon patron », raconte-t-il.

Le coût de l’assurance des pêcheurs, une barrière à la protection sociale

Les pêcheurs rencontrent des difficultés pour accéder à l’assurance en raison de leurs revenus faibles. « Le montant de 33 000 BIF par an et par personne, exigé par les assureurs, est trop élevé.Il renvoi la balle à leurs patrons , comme cela a été le cas en RDC. C’est à eux de payer pour nous, car cela les concerne avant tout. Sinon, les activités s’arrêteront et les pêcheurs partiront ailleurs », explique André Ntibahoye.

En évoquant les défis auxquels ils sont confrontés, Erneste Tuyisenge déplore l’excessivité des sommes demandées par les sociétés d’assurance, malgré les dangers du métier. « La volonté est là, mais 33 000 BIF de cotisation pour une indemnisation de 2 millions de BIF pour la famille d’un pêcheur décédé dans le lac, et 500 000 BIF pour une blessure, ce n’est pas raisonnable », affirme Tuyisenge.

Selon lui, cela relève de l’escroquerie, vu le nombre de pêcheurs sur le lac Tanganyika. « D’ailleurs, lorsqu’un pêcheur meurt, c’est souvent la fin pour lui, car parfois sa famille ne peut même pas être informée immédiatement », conclut-il.

Gabriel Butoyi, président de la Fédération des pêcheurs du Burundi, explique que l’assurance Business Insurance and Reinsurance (BIC), en collaboration avec la société SIPEBU et sa fédération, a envisagé d’intervenir dans ce secteur. Des réunions de sensibilisation ont été organisées pour les pêcheurs. Il précise que lors de ces rencontres, les préoccupations actuelles n’avaient pas été soulevées et que les pêcheurs semblaient favorables au projet.

« Sur toutes les plages de pêche, ils ont salué le projet, en demandant simplement que les cotisations soient révisées à la baisse », souligne le président de la Fédération des pêcheurs du Burundi. Il rappelle que le projet d’assurance pour les pêcheurs du lac Tanganyika leur a été présenté en juin 2020 à Rumonge.

Les conditions de souscription

Dans le cadre de ce programme, les propriétaires d’équipes de pêche sont tenus d’acheter des gilets de protection pour leurs employés, indique Jean de Dieu Nahomuremyi, responsable d’une équipe de huit pêcheurs. Il précise que, pour souscrire à l’assurance, les contrats des pêcheurs et l’achat de navires métalliques sont également requis.

Bien que cette initiative soit bien accueillie, les exigences imposant aux pêcheurs de disposer de contrats et aux équipes de pêche d’être équipées de pirogues métalliques compliquent l’accès à l’assurance. En effet, selon M. Nahomuremyi, la rémunération des pêcheurs dépend de la quantité de poissons capturés, ce qui rend difficile l’établissement de contrats.

Lire : Burundi : le secteur des assurances a connu une croissance progressive

« La rémunération d’un pêcheur dépend du montant qu’il gagne grâce à la vente de sa prise. S’il ne pêche pas, il ne touche pas de salaire », explique-t-il, soulignant les difficultés pour les propriétaires de pirogues à satisfaire les exigences relatives à la rémunération des pêcheurs, à l’achat de gilets et à l’acquisition de navires métalliques.

« C’est pourquoi je sollicite des prêts bancaires pour alléger ces charges. Si les banques ou les institutions de microfinance nous accordaient des crédits, elles contribueraient au développement rapide du secteur », recommande-t-il.

Les institutions financières burundaises manquent d’expérience dans le financement des pêcheurs. Marie Jeanne Ndikumana, secrétaire exécutive adjointe de l’Association des banques et établissements financiers du Burundi (ABEF), encourage les pêcheurs à se rapprocher des banques ou des institutions de microfinance pour obtenir des prêts, tout en précisant qu’ils doivent se conformer aux exigences spécifiques de ces institutions.

Armelle Irakoze, chargée de marketing à l’agence d’assurance Business Insurance and Reinsurance (BIC), regrette que les pêcheurs se focalisent uniquement sur les cotisations, négligeant l’importance de l’assurance en cas de risques. Elle met en avant les avantages de l’assurance pour les pêcheurs, notamment la protection de leurs biens, et propose l’assurance accident corporelle comme un produit adapté à leurs besoins.

« L’assurance accident corporelle couvre le remboursement des frais médicaux en cas de maladie ou d’accident, le versement d’indemnités en cas d’incapacité de travail ou d’invalidité, ainsi qu’un capital ou une rente en cas de décès ou d’infirmité permanente », précise Mme Irakoze. Elle souligne que son entreprise privilégie les contrats collectifs (associations) plutôt qu’individuels, et que les conditions sont négociables. Elle incite les pêcheurs à se regrouper en associations afin de bénéficier de cotisations réduites.

Le lac Tanganyika compte plus de dix ports de pêche, allant de Kajaga, en mairie de Bujumbura, jusqu’à la zone de Kabonga, en commune de Nyanza-Lac, dans la province de Makamba (sud). On estime que plus de 10 000 pêcheurs y exercent. Il convient de rappeler que l’article 15 du code des assurances du Burundi, datant de juillet 2020, stipule : « La proposition d’assurance n’oblige ni le candidat à l’assurance, ni l’assureur, à conclure le contrat. »

Freddy Bin Sengi

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