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Sophie Bessis revisite la Tunisie historique, de Carthage au printemps arabe

Historienne des temps modernes, Sophie Bessis aime se définir comme « contemporéaniste ». Son nouveau livre, paru cette année, est une exception, un pas de côté puisqu’il quitte les urgences du contemporain pour s’intéresser à la Tunisie historique, de la plus haute Antiquité à nos jours. C'est une somme passionnante sur une histoire trimillénaire. Entretien.

RFI : « L’Afrique du Nord fait-elle réellement partie de l’Afrique ? », s’interrogeait-on au dernier sommet de l’Union africaine en février 2019 lorsque l’Égypte a pris les rênes de la présidence tournante de l’UA. Cette appartenance ne fait aucun doute pour vous. Vous rappelez dans votre livre récent, intitulé Histoire de la Tunisie : de Carthage à nos jours, que le nom « Afrique » du continent proviendrait de celui d’une déesse locale du Maghreb…

Sophie Bessis : N’est-ce pas bien la preuve que l’Afrique du Nord fait autant partie de l’imaginaire africain que les autres régions du continent ? J’évoque dans mon ouvrage une population autochtone du nord-est du Maghreb à laquelle Grecs et Carthaginois avaient donné le nom d’« Afri ».

Cette population vivait sur une partie du territoire actuel de la Tunisie, où fut fondée au IXe siècle av. J.-C. la capitale de l’empire carthaginois. Les Afri étaient un petit peuple berbère constitué autour d’une chefferie. Leur nom était probablement dérivé de celui d’une déesse locale. Ce nom aura une destinée exceptionnelle, en finissant par désigner l’ensemble du continent.

Le processus a commencé avec les Romains qui, après avoir conquis Carthage, ont donné le nom d'Africa à leurs nouvelles possessions. Puis, à la suite de la conquête arabe au début du VIIIe siècle, les Arabes utiliseront le terme « Ifriqiya », qui est la version arabe du mot « Afrique ».

Vous rappelez également, dans votre ouvrage sur l'évolution de la Tunisie, qu’il s’agit d’une histoire trimillénaire et d’un territoire aux frontières stables depuis plusieurs siècles déjà. À quand remontent les premières traces historiques de la Tunisie ?

C’est en effet une région au peuplement très ancien. La première manifestation civilisationnelle date de la période allant du VIIIe au Ve millénaires avant l’ère commune. Cette civilisation s’est épanouie dans la région de Gafsa, au centre-sud de l’actuelle Tunisie, d’où son nom de la civilisation capsienne.

Le pays s’appelait-il déjà la « Tunisie » ?

Évidemment, ce serait un abus de langage de dire que la Tunisie existe depuis trois millénaires. Le terme « Tunisie » n’apparaît qu’au tournant des années 1830. Le territoire était connu à l’époque ottomane sous le nom de la Régence de Tunis.

La capitale a donné le nom du pays. C’est encore à partir de l’époque ottomane que la Tunisie a acquis des frontières à peu près définitives, qui sont celles d’aujourd’hui.

Contrairement à la plupart des pays de l’Afrique et du Moyen-Orient qui ont été reconfigurés à l’époque coloniale, les frontières tunisiennes n’ont que peu bougé. Ce sont deux traités, l’un datant de 1614 et le second de 1628, qui ont fixé les frontières de la Tunisie.

Il faudra ensuite attendre le début des indépendances dans les années 1950-1960 pour que ce pays voie se dessiner ses limites actuelles, avec la frontière tunisio-algérienne redéfinie après l'indépendance de l'Algérie.

Vous écrivez que l'histoire de la Tunisie se caractérise aussi par des constantes qu’on retrouve depuis l'Antiquité. Quelles sont ces constantes ?

En Tunisie, comme partout dans le monde, c’est la géographie qui fait l’histoire. Géographiquement, ce qui fait la singularité de ce petit pays, par rapport notamment à ses voisins de l’Ouest (Algérie, Maroc), c’est sa large ouverture sur la mer avec 1 200 kilomètres de côte.

D’où la première constante qui a caractérisé la Tunisie de tout temps, son inscription dans les réseaux d’échanges méditerranéens, faisant de ce territoire de 154 530 km2 un grand lieu de cosmopolitisme et de foisonnement. Foisonnement de peuples, de mœurs, de croyances, au même titre d'ailleurs que nombre de pays du pourtour.

La prospérité de ce territoire dépendait essentiellement du commerce portuaire et, qui dit commerce, dit villes et organisation. Selon les spécialistes de la démographie historique, Carthage aurait été la troisième ville de l’Empire romain, derrière Rome et Alexandrie.

D'où la deuxième grande constante, un pays très largement urbanisé depuis les temps anciens. Héritière de cette culture des villes, la Tunisie moderne est la région la plus urbanisée du Maghreb. Elle l'était déjà à l'époque de Carthage. Plus particulièrement toute la région côtière, qui se caractérisait par la sédentarité de sa population, contrairement aux régions intérieures.

C'est la troisième grande constante…

Les clivages entre la région côtière et la zone intérieure rurale traditionnellement vouée au pastoralisme et au nomadisme, constituent en effet la troisième constante qui perdure encore aujourd’hui.

Ces clivages sempiternels entre la zone côtière et l�...   

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