Lucie Nshimirimana est enseignante à l’école fondamentale de Muriza, commune Butaganzwa, province Ruyigi. En plus de ses obligations d’enseigner, elle encadre les élèves dans un cadre hors des stricts canons du système éducatif.
Tous les élèves l’appellent affectueusement tantine. Cette mère de cinq enfants en a reçu des centaines d’autres par le biais du programme des tantes et pères écoles. Souriante, un brin timide, c’est avec l’accent chantonnant de l’Est qu’elle se réjouit de la confiance que les élèves ont placé en elle. Pour cette quadragénaire, « c’est une immense fierté que de savoir que les enfants décident de te confier leurs secrets les plus intimes.»
Dans la culture burundaise, la tante est la suppléante de la maman. Surtout quand il s’agit de parler des sujets intimes que la pudeur peut filtrer dans une discussion mère-fille. « Uwutagira inasenge arisenga » (Qui n’a pas de tante s’enduit, traduction libre), cette maxime fait référence à la pratique de s’enduire le corps avec une lotion issue de produits laitiers. La toilette d’une jeune fille nubile dont les seins commençaient à pointer revenait à la tante. Lucie joue ce rôle, à la mode d’un autre temps.
Tante et enseignante, tout sauf une douce sinécure
Le programme de tantes et pères écoles a été institué aussi pour lutter contre les violences sexuelles et les grossesses en milieu scolaire. Pour ce faire, les tantes et tontons choisis, offrent aux élèves un accompagnement en ce qui concerne la vie sexuelle et reproductive, sans tabous. « Maintenant une jeune fille qui est surprise par ses menstrues à l’école n’a aucun complexe de m’approcher pour m’exposer son problème », fait savoir Lucie. Seul bémol, elle n’a pas de serviettes hygiéniques pour « dépanner », elle utilise les moyens de bord: « Je leur prête un pagne pour couvrir la tâche et je les exfiltre incognito pour leur éviter les moqueries de leurs camarades. Il faudrait que les initiateurs du programme pensent aux équipements qui vont avec.»
Combiner cette tâche de tante à celle d’enseignante n’est pas toujours facile. Appliquer le règlement scolaire ou faire appel à la tendresse de la tante peut être un vrai dilemme cornélien. « Un jour, un élève a été insolent envers un professeur. Il est directement venu me confier son embarras. Je ne savais pas quoi faire. Je compatissais avec l’élève mais c’était clair qu’un renvoi lui pendait au nez. ». Finalement, l’affaire a été réglée à l’amiable.
Des chiffres d’abandons scolaires encore élevés
Les tantes et tontons écoles prestent dans un contexte où beaucoup d’enfants décrochent de l’école. Il faut souligner que les actions de ces volontaires vont au-delà de la santé sexuelle et reproductive. Ils jouent aussi les garde-fous face aux abandons scolaires.
Dans l’établissement de Lucie, 37 élèves ont quitté le banc de l’école rien qu’en deux trimestres. Les causes sont nombreuses : l’attrait de l’argent que les ouvriers burundais perçoivent en Tanzanie, la pauvreté qui sévit dans les familles, etc.
Pour Onesphore Nsabiyumva, directeur provincial de l’éducation, il faut aussi ajouter « une certaine vision pessimiste de l’école que les parents transmettent à leurs progénitures. » Il fonde son argumentaire sur le fait qu’il y’a des chiffres d’abandons élevés dans les classes allant de la première année primaire à la quatrième.
Comptant 4744 cas d’abandons depuis le début de l’année scolaire, la direction provinciale de l’enseignement de Ruyigi compte sur le travail des tantes et tontons écoles pour endiguer ce phénomène. « Nous allons mener une étude comparative entre les établissements pilotes qui ont les tantes et tontons écoles et ceux qui n’en ont pas pour s’inspirer de cette approche », promet M. Nsabiyumva.