LE JOURNAL.AFRICA
CULTURE

« Kirazira », un mot éducatif en perdition

La société burundaise éduque, a éduqué et éduquera. Mais, à chaque époque, ses astuces. Aujourd’hui, la télé, les téléphones intelligents,  WhatsApp, … remplacent de plus en plus la parole du parent, cette éducation parentale ou maternelle. Retour sur certains interdits et leur signification.

« Kirazira ko umwana atarahongoka arya igitigu » (Il est interdit aux enfants qui n’ont pas encore perdu leurs dents de lait de manger le foie),  « Kirazira kurya umurahu ; wohava urahuka umutima’ » (Interdit de goûter sur une marmite en cours de la cuisson au risque d’avoir un cœur « instable ») « Kirazira gupfundurura inkono utatetse’ » (Il est interdit de découvrir une marmite que tu n’as cuisinée) « Kirazira kwireshangishwa’ » (Interdit de raconter tout ce que tu vois), « Kirazira guca hejuru y’abantu bakuze » (Il est interdit de passer à côté des aînés qui sont assis), etc. Quelques phrases qu’aimait me dire mon grand-père maternel. 

Petit gamin, aîné de ses petits-enfants, (umwuzukuru mukuru),  je ne réalisais pas alors le sens de ces mots. « Des privations, de l’injustice », me disais-je dans mon cœur. C’est d’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles je ne passais pas beaucoup de temps chez mon grand-père maternel. Et je ne suis pas le seul fils de la région naturelle du Kirimiro à avoir entendu ces  phrases. 

Au-delà de l’interdit

Ces mots peuvent être une découverte, pour ceux nés à Bujumbura, « abanyamuji » ou « abatowneri », comme on aime dire. Mais ces mots ont une fonction qui est principalement éducative. 

Commençons par celui-ci : « Kirazira ko umwana atarahongoka arya igitigu ». À vrai dire, y aurait-il des catégories de viande interdites aux enfants ? C’est discutable. Au lieu de leur donner ce morceau, mou et facile à dévorer,  on leur réservait juste un os avec quelques ‘’ udushitwa’’, miettes de viande. 

Les plus anciens affirment qu’une éducation se cachait derrière. Pascal, un octogénaire de Kibumbu indique qu’il s’agit là d’une façon d’éduquer, d’inculquer dans les esprits des enfants qu’il ne faut pas toujours chercher des facilités. 

Il ajoute aussi que c’est aussi pour montrer aux enfants que le père de famille a sa propre assiette, « Kirazira kuraba kw’isahani y’umuvyeyi ».

Et avec « Kirazira kurya umurahu wohava urahuka umutima » (Il est interdit de goûter sur une marmite en cours de la cuisson au risque d’avoir un cœur « instable »), selon Pascal, cette phrase proverbiale visait à montrer aux enfants qu’il faut être patient. 

Et chez les pasteurs (éleveurs), d’autres astuces  existaient. « Kirazira kurya iswa canke indagara, inka yohava icika amabere » (Interdit de manger les termites ou les ndagala, les vaches perdraient leurs mamelles). Encore, « Kirazira kurya ikizinu » (interdit de manger le champignon). Des interdictions, commente Canisius, de Gisozi, province Mwaro visant à éduquer l’enfant en ce qui concerne l’alimentation, qu’il faut avoir un choix. C’est delà d’ailleurs, insère-t-il, qu’est né  le proverbe « umunwa w’inkunda vyose wica inka » (la bouche de celui qui aime tout, tue les vaches, ndlr). 

Et pour boire le lait de la vache, les enfants devaient s’asseoir sur une natte (Ikirago), car « Kirazira kunywa amata uhagaze » (interdit de boire le lait étant débout). Et tout enfant voulant boire du lait devait respecter cette consigne. Ce qui signifie que l’élevage surtout de la vache était entourée d’interdictions : « La vache n’est pas un simple animal. ». Cet octogénaire signale que même lors des fêtes sociales comme la dot, « on ne dit pas qu’on vient chercher une fille mais une vache »

Le respect de la vie aussi

« Kirazira kwica umuserebanyi ; nyoko yoca acika amabere » (Interdit de tuer le lézard ; ta maman perdrait les seins). « Un message important pour appeler les enfants au respect de la vie », explique Kabura, un vieux de Kigutu, à Mwaro. Ce qui doit commencer par le respect des petits insectes, des animaux aussi petits soient-ils.

Aujourd’hui, ces interdits perdent de plus en plus de place dans notre société. Tout semble être permis. Et les parents y entraînent leurs enfants sans le savoir. 

Juste une anecdote : Un jour, un vieil homme descend à Bujumbura rendre visite à son fils. Il est 10 heures. Nous sommes à Kinindo, au sud de la capitale économique.  À la maison, il y rencontre ses deux petits-fils en train de jouer en attendant le retour du travail de leurs parents. Dans leurs mains, ils ont deux fusils en plastique. Juste des jouets. Mais le grand-père,  n’en croyant pas à ses yeux, il s’exclame : « Ntakikizira ! » (Il n’y a plus d’interdits). Juste un bonjour au grand-père et comme si de rien n’était, ces innocents poursuivent leur jeu devant les yeux effarés de leur grand-père. « Quelle éducation ? C’est scandaleux. Tuer  »kwica » ne leur fait pas peur ! »

Pour ce grand-père, cela a des impacts négatifs sur l’avenir des enfants car, tout leur semble autorisé. Or, commente-t-il, ce mot ‘’Kirazira’’ (Il est interdit, ndlr) poussait les enfants à réfléchir à deux fois avant de poser un acte, ou de dire quoi que ça soit. 

 

Articles similaires

Culture africaine: les rendez-vous en février 2022

RFI AFRIQUE

Touria El Glaoui, combattante pour l’art africain, en un mot, un geste et un silence

RFI AFRIQUE

Burundi : Pour la première fois : Compétition Miss Batwa

LE JOURNAL.AFRICA
Verified by MonsterInsights