Il y a quelques jours, le ministère de la Santé Publique publiait des chiffres ressortant d’une enquête menée dans quatre provinces du pays et où on pouvait lire notamment que : « Plus de 6 personnes sur 10 enquêtées semblaient manifester une difficulté psychologique et plus de 4 personnes sur 10 présentaient des troubles psychologiques ». Comment alors toutes ces personnes sont-elles prises en charge ?
Il faut d’abord savoir qu’il y a beaucoup de troubles mentaux, nous rappelle Dr Angélus Nindereye, psychiatre. Ils sont subdivisés en six grands groupes : les plus invalidants parmi lesquels les psychoses, dont la schizophrénie est la plus connue, et les troubles de l’humeur comprenant entre autres la dépression et les accès maniaques ; les moins invalidants comme les troubles anxieux et de la personnalité ; les troubles de conduite, ceux liés à la consommation des substances psychoactives et enfin, en fonction de l’âge, il y a les troubles psychiques de l’enfance et de l’adolescence ainsi que ceux du sujet âgé comme la dépression d’involution. Mais la conception de ces pathologies diffère d’une personne à l’autre.
Des malades souvent incompris…
« Dans notre société, il y a ignorance de la maladie mentale », dixit Mélance Nduwimana, doctorant en Psycho-criminologie à l’Université Libre de Bruxelles qui poursuit : « Il y a une certaine conception traditionnelle de la maladie mentale où le malade mental était considéré comme quelqu’un qui avait perdu la raison, ‘‘umusazi’’, et qui devrait donc être abandonné voire même ligoté pour protéger le reste de la société ».
Certains, ajoute le Dr Angélus, considèrent encore aujourd’hui le malade mental comme quelqu’un à qui on a jeté un mauvais sort, possédé par des esprits maléfiques ou qui est tout simplement victime d’un ensorcellement.
…et mal pris en charge
« Du fait de cette mauvaise conception de la maladie mentale, associée au fait qu’un malade mental est un malade un peu spécial du fait que ce n’est pas lui-même qui décide d’aller consulter un professionnel de santé, certains ne se reconnaissent même pas malades, la majorité a tendance à les acheminer chez les tradi-praticiens ou dans les chambres de prières », s’accordent à dire les deux experts.
Mais il y a une lueur d’espoir, rassure M. Nduwimana. « Certains, surtout dans les milieux où ils ont accès à des informations, commencent à comprendre ce genre de maladie et dès qu’ils constatent les premiers signes de comportements pathologiques, amènent le/la malade vers une structure de soins mentaux ».
Encore que, regrette le Dr Nindereye, ces structures sont encore très peu nombreuses : un seul centre neuropsychiatrique, celui de Kamenge (CNPK) ; avec ses extensions à Ngozi (Mubuga), Gitega, Muyinga et Rutana (Musongati) et une unité à l’Hôpital militaire. Là, c’est sans parler du manque criant du personnel soignant qualifié dans ce domaine : seulement trois psychiatres travaillant au Burundi dont aucun n’est affecté à temps plein au CNPK. Fort heureusement, toutes les personnes souffrant de perturbations mentales n’ont pas besoin de voir un psychiatre ou d’être adressées à un centre neuropsychiatrique.
Des solutions alternatives
« Les centres d’écoute ou de counseling manquent cruellement ici chez nous », regrette le Dr Angélus. Selon lui, ces centres, tenus en principe par des psychologues, devraient en fait servir à deux niveaux : dans la prise en charge des pathologies mentales ne nécessitant pas des thérapies médicamenteuses et dans le suivi psychologique des malades, après leur séjour au CNPK par exemple ; car ils auront besoin d’une réinsertion, d’une réadaptation et parfois d’une réhabilitation. Ils serviraient aussi à éviter que des perturbations psychologiques « minimes », comme le stress ou le deuil pathologique ne se développent en maladie mentale chronique par manque de prise en charge psychologique. « Actuellement, il n’existe aucun centre public de ce genre, seules quelques initiatives privées existent, cela car la maladie mentale a tout simplement été négligée dans le passé et que les gens ne savaient même pas qu’on pouvait les soigner », explique le spécialiste des maladies mentales.
Pour Mélance Nduwimana, enseignant à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université du Burundi, l’autre solution serait une bonne fonctionnalité des cabinets de psychologues qui aideraient dans le suivi, surtout dans la psychothérapie familiale pour prévenir la rechute pour ce qui est de la maladie mentale chronique. Seul bémol, dit-il : « Avec cette méconnaissance de la maladie mentale et la culture du secret de la société burundaise, qui irait consulter un ‘‘psy’’ et lui raconter sa vie privée ? ».
Des solutions durables
Le ministère de la Santé a comme perspective de « décentraliser et d’intégrer les soins de santé mentale à tous les niveaux de soins », disait le Dr Etienne Niyonzima, directeur du Programme des Maladies Chroniques non Transmissibles, lors de la présentation de la dite étude. C’est ce que plaident également nos deux experts. « Chaque centre de santé devrait au moins être doté d’un psychologue spécialiste en santé mentale et que celle-ci soit le cheval de bataille de tous les soignants qui doivent travailler en synergie puisque l’être humain est une unité », estime Mélance Nduwimana.
Et pour le docteur Angélus, « il faut une implication de tout un chacun, les pouvoirs publics en premier, pour assurer la disponibilité des moyens pour la mise en place des structures suffisantes et d’un personnel qualifié, tout cela en sensibilisant la population à changer cette façon de voir la maladie mentale, car la santé mentale est un problème de santé publique ».