La veille du 1er juillet 2019, le chef de l’État du Burundi a annoncé le changement des noms de certaines infrastructures publiques. Deux mois après, certains noms ont fait l’unanimité alors que d’autres laissent toujours des échos. Deux d’entre ceux-là qui peinent à convaincre ont alimenté le débat entre un groupe de cinq jeunes.
Le voyage avait été long. D’autant plus qu’on avait décidé de « négliger le trajet » (y aller à pied). La canicule ne nous avait pas lâchés d’une seconde. Il fallait nous revigorer. Mon ami Hervé et moi, décidons donc de nous acheter une bière bien fraîche avec les sous qui restaient : il avait acheté ses machins et moi les miens. Et tout va pour le mieux.
Le petit bistrot dans lequel nous nous arrêtons n’est pas plein. Mais du monde ? Il y en a. En prenant place à côte d’un groupe de cinq jeunes, je capte la discussion. « Reka sha reka, harya harimwo imvo za politique. Ntubona ko amatora yegereje ? ». (Arrête, arrête, il y a des raisons politiques derrière. Ne vois-tu pas que les élections approchent ?). La seule fille parmi les 5, d’une vingtaine d’années, n’est pas du tout d’accord. « Oyaha, hariho ivyari bifise amazina ari bizarre vraiment, nk’ ama dates y’ama coups d’Etat,… » (Ohh non, il y en a qui avaient vraiment des noms bizarres, comme ces dates des coups d’État, …)
Ce dernier commentaire me permet de cerner le vif du sujet. Je garde une oreille attentive. Bien sûr, tout en n’oubliant pas mon ami. Et le reste de la discussion entre les cinq va tourner autour de deux sujets.
Le boulevard Mwezi Gisabo (ex-boulevard du 28 novembre)
Comme ça, le boulevard du 28 novembre n’est plus. Désormais, il se nomme boulevard Mwezi Gisabo (roi du Burundi de 1850 à 1908), et ce nom n’aurait pas été le fruit du hasard. Cette date marque un événement double de sens. Et c’est là même le cœur de la controverse.
« Cette date rappelle le coup d’état du capitaine Michel Micombero contre le roi Ntare V Ndizeye Charles, une habitude à bannir », poursuit la fille d’à côté. Et la réplique ne se fait pas attendre. « Cette date même du 28 novembre 1966 marque la venue de la première république. Un fait historique important pour chaque pays et qu’on ne pourra jamais effacer du passé. Qu’on le veuille ou non. » Aussitôt, une voix s’élève. « Uri intwari sha ! kor’aha ! » (T’es un héros ! Touche ici !). Et le débat se déplace du coup vers …
Le stade Intwari (ex-stade Prince Louis Rwagasore)
« Autrefois stade de l’indépendance, l’actuel stade Intwari aurait une face cachée qu’on ignore », explique un des 5. « Après la monarchie, les officiers accusés d’être pro monarchie y ont été assassinés et par respect au Prince Louis Rwagasore, ce lieu ne mérite pas de porter son nom ». Ici encore, une réplique. « Le drapeau du Burundi a été rehaussé pour la première fois au stade Prince Louis Rwagasore en même temps, le drapeau belge descendait. Un symbole fort du nouveau Burundi indépendant. Le stade mérite donc parfaitement le nom du héros. » À moi de chercher quoi faire des questions qui dansent dans ma tête. Qui a tort ? Qui a raison ? Devrais-je m’inviter à la discussion ? « Non !, ils ne continueront pas à parler face à un inconnu », me rappelle mon ami.
Dans la foulée, les cinq jeunes sont enfin unanimes sur les propos du mec qui semblait plutôt soûl et désintéressé. Contemplant avec fierté sa bouteille de Primus qu’il tient de sa main droite, il lance : « Mwese murutwa na Bihome yiguze umwami ». Tout le monde éclate de rire. Des signes du pouce levé accentuent leur accord alors que le « buvard » aspire doucement quelques gorgées de sa Primus…
À la commission annoncée qui sera chargée d’étudier les lieux et infrastructures qui adopteront ou changeront de noms, il faudra privilégier les noms qui nous feront tous sourire si non les effets risquent d’être diviseurs que rassembleurs.