Première star issue d’un pays du tiers-monde, révolutionnaire, porte-parole des laissés-pour-compte, Robert Nesta « Bob » Marley était plus qu’un musicien. Apôtre du panafricanisme et du rastafarisme, il est considéré comme l’une des personnalités les plus influentes du 20ème siècle avec ses deux cent millions de disques vendus. Au Burundi, trente-huit ans après sa mort, le point sur l’évolution et l’état du rastafarisme, véritable héritage de Bob Marley.
Porté par l’universalisation du reggae, dans les années quatre-vingts, le mouvement rastafari a conquis le monde, le Burundi y compris. Bien que francophones, les jeunes burundais ont vite adopté la musique reggae dont Bob Marley est le principal prophète. Pour ces citadins, le message est simple : les opprimés sont appelés à se rebeller et lutter contre « babylone », l’oppresseur.
Le mouvement prend son essor dans une période particulière pour le monde noir marqué par l’Apartheid, les guerres de libération en Afrique australe, la guerre froide et la ségrégation aux Etats-Unis. Pour les plus cultivés d’entre eux, le rastafarisme était le prolongement du panafricanisme, un mouvement afrocentriste, à la pointe de la lutte contre le néo-colonialisme et prônant le retour à « l’africanité ». Au Burundi, c’était un phénomène urbain même si les premiers rasta jamaïcains se disaient très naturalistes et avaient choisi de se retirer dans les hauteurs de Kingston (capitale de la Jamaïque), un milieu rural.
L’usage du mot « rasta » est très répandu au niveau de la jeunesse burundaise au point de se demander qui l’est ou ne l’est pas. Pour certains, c’est associé au fait d’être « cool », adepte de la philosophie du « One Love ». Cependant, le « rasta » dans le sens originel est un mode de vie et une philosophie identitaire porté par le panafricanisme, le reggae et les autres sous cultures et pratiques y afférentes. Au Burundi, on peut parler difficilement de « communauté rasta » dans le sens sociologique du terme.
Un mouvement qui évolue malgré les perceptions négatives à son égard
L’implantation de ce mouvement a rencontré plusieurs défis liés notamment aux représentations négatives qui ont la peau dure dans la société burundaise. En effet, pour bon nombre, le rastafarisme est tout simplement la consommation du cannabis, se parer des trois couleurs (rouge, vert, jaune) et le port des dreadlocks, souvent perçu comme un manque d’hygiène. Rares sont les rastas qui s’assumaient à cette époque des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Au Burundi, on commença à voir les premiers clips de Bob Marley à la Télévision Nationale avec l’émission « Au-delà du son » animée par Innocent Muhozi, qui confiera plus tard avoir eu du mal à convaincre sa hiérarchie du bien-fondé de cette initiative.
Avec l’avènement des médias indépendants dans les années 2000, une nouvelle génération de jeunes décomplexés a envahi les médias. On commence à voir les premiers journalistes rasta respectés, présentateurs à la télévision et reporters radios avec des dreadlocks, assumant publiquement leur sympathie pour cette philosophie. Dans le métier, les noms comme Aloys Niyoyita, Félix Bigirimana, Adrien Nihorimbere faisaient la fierté du mouvement et représentaient cette nouvelle génération consciente. Chaque radio ou presque avait sa propre émission « reggae roots », ce qui donnait encore plus d’aura à cette musique et aux rastas burundais. Une délégation de rastas a été même reçue en 2006 par le président Nkurunziza qui n’a jamais caché son amour pour le reggae. La perception du rasta commença à évoluer positivement, surtout dans le milieu urbain où ils sont de plus en plus tolérés en matière d’accès à l’emploi, mais aussi au niveau des universités privés même si beaucoup portent les dreadlocks moins par idéologie et plus pour faire « tendance ».
Vers la disparition du rastafarisme ?
Avec les années 2008-2014, le mouvement rasta est à son apogée. Il est porté par les tubes reggae très populaires des groupes comme Lion Story, Prophet Voice, etc. Malgré leur popularité et le succès de leurs concerts, les messages très engagés de leurs chansons leur ont valu des démêlées avec certaines autorités qui considèrent ces chansons comme des appels à l’insurrection. Avec la crise de 2015, plusieurs icônes de ce mouvement ont quitté le pays et le reggae est presque au point mort avec de moins en moins de productions.
Aujourd’hui, certains membres de cette communauté se disent inquiets suite à la parution de nouvelles drogues comme le « boost » qui font des ravages auprès des plus jeunes et moins conscientisés parmi eux, comme le déplore Richard « Jacob » Nininahazwe, un des rastas les plus connus de la capitale.
À la question de savoir si le mouvement s’essouffle, Félix Bigirimana, la cinquantaine, journaliste et un des premiers rasta à Bujumbura rétorque : « Tant qu’il y aura injustice, corruption, misère, répression et perfidie des puissants, la musique reggae et la philosophie rasta auront toujours une place dans la société. C’est une philosophie de libération et d’émancipation. Impossible de l’enterrer. »