Il y a 28 ans de cela, je vins au monde. Tel le fils de Nazareth, j’avais une mission à accomplir: celle de briser la spirale de la «guerre des nez». Je fus érigé sur les hauteurs de Vugizo, non pour être vénéré, mais pour servir de référence et de remède «au mal burundais». Ô combien aimerais-je réussir ma mission!
Ma naissance fut, à n’en pas douter, le résultat des pressions endogènes et exogènes. Depuis que mon père « politique » Buyoya a apposé sa signature sur la charte m’instituant et que l’architecte a posé sa dernière pierre sur moi, il ne se passe un 5 février sans que leurs excellences viennent s’offrir un spectacle de tambours chez moi. Drapeau bleu flottant, cravates bien ajustées, ils entonnent main dans la main l’hymne de l’unité. Un flash mob politique pour montrer à qui veut voir que cette unité est une réalité.
Unité dites-vous?
Élevé au-dessus de la montagne, mes yeux se promènent sur la «capitale» depuis 1991 et n’en reviennent que mouillés de larmes. De la guerre des machettes de 1993 aux rafales nocturnes et diurnes de 1994 à 2008, Dieu seul sait combien j’ai voulu accourir pour sauver des vies, mais l’architecte qui m’a cloué au sol ne m’a guère laissé le choix. Ironie du sort, les hommes politiques n’ont pas cessé de chanter les jouissives notes de Libère Bararunyeretse. Néanmoins, ce folklore porte-t-il réellement l’esprit et l’idéal de la politique de l’unité nationale ?
Solitaire au-dessus de Bujumbura, j’avais pris l’habitude de noyer mes journées d’angoisse dans des émissions radio dont je captais aisément l’antenne. Hélas, 2015 ne me fit capter que des parasites et des grondements de canons pour ensuite nourrir mes oreilles de communiqués nécrologiques. J’ai vu, impuissant, les lumières de la capitale (économique) s’éteindre, laissant la scène aux étincelantes rafales. La suite on la connaît : un parterre de diplomates et autres dignitaires se rassemblaient (et se rassemblent toujours) autour de moi avec les mêmes mots, mêmes gestes et des gerbes de fleurs en cadeaux d’anniversaire, chantant en chœur «Ubumwe bw’abarundi».
Mes anniversaires passés rassemblaient anciens belligérants, défenseurs des droits de l’Homme, hommes d’Église, etc. Les voir ensemble agiter leurs bras me donnait un brin d’espoir que ma mission est au seuil de la réussite. Toutefois, aujourd’hui, je ne cesse de m’imaginer où auraient pu partir certains visages que je ne vois plus. Les verrai-je encore un jour revenir me tenir compagnie au mont Vugizo?
Mission impossible?
À l’heure de tirer le bilan de mes 28 ans de vie «chaste», je constate amèrement que je n’ai pas réussi mon pari. Devrais-je vraiment me souhaiter un joyeux anniversaire ou devrais-je plutôt prendre une retraite anticipée? Ceux que je suis censé réconcilier restent embourbés dans des querelles politiques sans fin comme si les Burundais étaient condamnés à vivre en éternels désaccords, à se regarder en chiens de faïence.
Pourtant, ce ne sont ni les modèles ni la richesse de l’histoire qui manquent aux descendants de Ntare pour tirer de bonnes leçons. Pour paraphraser l’expression de Machiavel, on dirait que les Burundais n’apprennent pas de leur histoire. Certes, j’ai connu des lueurs d’espoir mais elles n’ont duré que le temps d’une rosée. Quoique je reçoive des visites de courtoisie chaque 5 février, la mémoire du passé douloureux et récent reste purulente.
Mais à quoi sers-je au fait? Suis-je un lieu touristique? Un monument de l’«Unité inconnue»? Ou un symbole d’un idéal cher aux Burundais? Si mon existence n’inspire plus le vivre ensemble, pourquoi toutes ces cérémonies en mon honneur?