LE JOURNAL.AFRICA
Analyse

«Le sommet de Paris vise à lancer une dynamique internationale»

Benoît Chervalier est banquier d’affaires, enseignant à Sciences Po Paris et à l’Essec (École supérieure de sciences économiques et commerciales). Spécialiste des questions de dette et de financement en Afrique, il conseille les États et les entreprises sur ce sujet.

RFI : La France organise un sommet international sur les questions de financement et de dette en Afrique. Le président français Emmanuel Macron propose d’ailleurs ce qu’il appelle un New Deal à l’Afrique. Que faut-il comprendre derrière cette expression ?

Benoît Chervalier : C’est un terme assez galvaudé, mais le message est clair, il s’agit d’apporter une réponse de nature politique, économique et financière permettant au continent de se relever de la crise pandémique et de construire l’Afrique de demain. Mais, à mon sens, cela ne signifie pas qu’il y aura des centaines de milliards qui seront alloués par les économies matures aux pays africains. Ce serait une erreur que de le croire. La question centrale est plutôt de savoir comment mobiliser le secteur privé qui seul pourrait déployer les centaines de milliards de dollars dont le continent a besoin pour sa croissance et son émergence.

Faut-il s’attendre à des annonces spectaculaires sur l’aide aux économies africaines ?

Ce sommet est en quelque sorte un sommet hybride, ce n’est ni un sommet du G20 ni un sommet d’une organisation internationale, mais un sommet intergouvernemental où certains États seront présents et d’autres non. Ce sera donc davantage l’occasion de réaffirmer des ambitions et de donner une impulsion qui seront ensuite traduites par des actions dans les institutions appropriées. Les grandes puissances vont se mettre d’accord sur certains principes. Cette rencontre est avant tout une réponse à ce déséquilibre que l’on a vu apparaitre entre les économies avancées et les autres. Il y a en effet un écart colossal entre ce que les économies matures ont été capables de mobiliser pour soutenir leurs économies pendant la pandémie, ces fameux plans de relance représentant plus de 15 000 milliards de dollars, et ce qu’ont pu entreprendre les pays moins avancés. Il convient donc d’envoyer à l’Afrique un signal politique fort. Un signal de solidarité.

Le sommet va revenir sur l’allocation de DTS (Droits de tirage spéciaux) annoncée il y a quelques mois par le FMI. Est-ce la solution pour permettre à l’Afrique de disposer de fonds pour la relance économique ? 

Il faut d’abord saluer la première victoire du FMI qui a été de faire accepter cette nouvelle allocation de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars pour ses 183 membres. Chacun en recevant une partie en fonction de sa quote-part au FMI. Je vous rappelle que cette victoire a été rendue possible par la levée du veto américain, au lendemain de l’élection de Joe Biden à la présidence. En mars dernier, le FMI a entamé les discussions, et le Conseil d’administration du FMI doit désormais valider la décision d’ici la fin du mois de juin, pour une allocation possible dans le courant du mois d’août. Ce qui est à souligner, c’est qu’un certain nombre de pays riches ne vont pas utiliser leur quote-part de DTS, et toute la discussion actuelle tourne autour de l’idée de savoir comment utiliser ces DTS de pays riches non utilisés pour les allouer aux économies à bas revenus.

La solution qui semble tenir la corde, c’est d’utiliser le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté du FMI (PRGT) qui bénéficierait d’un prêt d’une partie des DTS alloués aux économies avancées pour les orienter vers les pays les moins avancés. Le montant final devrait se situer entre 20 et 40 milliards de dollars pour les pays africains. Des mécanismes additionnels pourraient également intervenir, ciblés sur le secteur privé ou certains secteurs ou thématiques spécifiques comme le financement d’actions en faveur de la préservation de l’environnement, mais chaque option doit être évaluée avec ses avantages et ses inconvénients.

Le but affiché est d’aider sans ré-endetter. Comment y parvenir ?

Tout d’abord il serait erroné de penser que seule l’Afrique fait face à un endettement récurrent. Je vous rappelle qu’historiquement la quasi-totalité des pays ont fait défaut sur leur dette, y compris la France et l’Allemagne. Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle il y aurait une singularité africaine en matière d’endettement. Ce qui est vrai, c’est que certains pays, et l’on ne parle pas de toute l’Afrique mais seulement de certains pays, du fait de leurs caractéristiques sont plus fragiles que d’autres. Deuxième point, la pandémie n’a pas créé la situation actuelle, elle n’a fait que l’aggraver. Les difficultés de certains pays sont venues après la crise pétrolière de 2014, quand les cours du brut ont brusquement décroché en juin 2014. Les pays exportateurs de pétrole ont été les premiers affectés, de l’Algérie au Congo-Brazzaville en passant par le Nigeria. Ils se sont retrouvé confronté à des dettes élevées. La dette publique du continent est ainsi passée de 32,1% du PIB en 2010 à 65% en 2020. Troisièmement, de nouveaux créanciers sont arrivés en Afrique ces dix dernières années. Des pays comme la Chine, mais aussi des prêteurs privés. Avant 2010, seuls trois pays africains avaient recours aux marchés de capitaux, aujourd’hui, ils sont dix-huit. Dix-huit sur cinquante-quatre, c’est donc loin d’être la majorité, et l’on ne peut pas dire que les marchés de capitaux sont responsables à eux seuls de la détérioration de l’endettement de l’Afrique.

Il faut bien comprendre que la dette ne touche pas les pays de manière homogène. On ne peut pas globaliser et mettre tous les pays dans le même panier. Les vulnérabilités sont différentes, les types de créanciers aussi, et les solutions le seront tout autant. Il faudra donc procéder pour les pays africains à une analyse au cas par cas. Ce qu’ont d’ailleurs décidé de faire les pays du G20 en mettant en place le Cadre commun grâce auquel trois pays africains se sont inscrits dans ce dispositif (le Tchad, la Zambie et l’Éthiopie) tout en se trouvant dans une situation individuelle très différente.

Comment améliorer les conditions auxquelles empruntent les pays africains ?

Tout d’abord les conditions de financement, maturité, amortissement, taux d’intérêts, varient en fonction des pays et de la nature des prêts sollicités. On n’a pas les mêmes conditions si l’on émet des obligations internationales, si l’on effectue un emprunt sur le marché domestique, ou si l’on emprunte en bilatéral à un État étranger. Il n’y a pas un chapeau commun. Je rappelle que certains pays ont emprunté de façon très attractive tout récemment sur les marchés internationaux. Le Maroc par exemple a pu emprunter en septembre 2020 à un coût de 1,5% sur l’une de ses tranches. La Côte d’Ivoire et le Bénin ont lancé des eurobonds en 2021 avec un coût autour de 4-5% en fonction des maturités. Donc, il y a des situations où les conditions de financement sont plutôt bonnes et témoignent de la confiance des investisseurs.

À côté, il y a malheureusement des pays qui empruntent plus cher, à 8% ou plus de taux d’intérêts. Mais c’est comme pour une entreprise ou un ménage qui emprunte. Les taux d’intérêts reflètent le risque que les investisseurs évaluent à l’égard de ces pays. En fait, tout l’enjeu consiste à diminuer le coût moyen du financement quand un pays se trouve dans une fourchette intermédiaire. Et là c’est compliqué. Car, en fait, la prime de risque permet d’attirer les investisseurs qui raisonnent en fonction du couplage rendement-risque. Si cette prime n’est pas suffisante à leurs yeux, ils prêteront à d’autres.

Et donc quelles sont les solutions ?

L’abondance des liquidités au niveau mondial constitue un puissant effet de levier aujourd’hui pour le financement de ces économies, mais il n’y a pas de solution unique mais toute une palette que vont justement envisager les dirigeants réunis à Paris. Entre les mécanismes qui se mettront en place pour permettre la réallocation de DTS, la possibilité peut-être d’avoir des emprunts non-concessionnels adossés à des fonds de garantie, et peut-être aussi et surtout la façon dont on pourrait associer le secteur privé.

Quand on voit la situation de certains pays comme la République du Congo qui s’est beaucoup endettée auprès de négociants pétroliers, gageant une énorme partie de ses ressources en or noir, ne faudrait-il pas interdire ou limiter le recours aux prêts gagés ?

Je ne pense pas que l’on puisse interdire les prêts gagés. Dans leur principe, les prêts gagés sur les matières premières ne sont pas problématiques, dès l’instant où ils sont bien négociés et bien encadrés. Le premier garde-fou à mettre en place, c’est de mettre sur pied des contrats négociés de bonne foi, entre des partenaires de bonne foi assis sur une bonne gouvernance et soucieux des intérêts de long terme de l’État. Des acteurs internationaux, comme la BAD [Banque africaine de développement, NDLR] ont déployé des outils d’assistance juridique [la Facilité africaine de support juridique, ie ALSF], car ils se sont aperçus que les pays n’étaient pas toujours suffisamment outillés pour défendre leurs intérêts face à des équipes d’avocats chevronnés, et qu’il était nécessaire d’appuyer les États dans la négociation. Encore faudrait-il que les pays concernés sollicitent ce type d’assistance. Or, tous ne le font pas, car cette assistance juridique suppose de respecter des règles de bonne gouvernance et de transparence… Il faut comprendre que pour faire en sorte que les prêts gagés sur les matières premières soient équilibrés et bénéfiques pour toutes parties, il faut respecter ces règles de bonne gouvernance et de transparence.

L’un des enjeux du sommet est de trouver une façon de stimuler davantage l’activité du secteur privé africain pour relancer la croissance. Quelles sont les pistes que l’on peut envisager ?

Là encore, les possibilités sont nombreuses. Je vais juste prendre un exemple, celui de la MIGA, l’Agence multilatérale de garantie des investissements. C’est un outil efficace de la Banque mondiale qui permet de garantir ceux qui prêtent aux entreprises ou aux États et donc de faire baisser le coût du crédit. Mais la MIGA n’intervient qu’à partir du moment où les pays ont un niveau de notation internationale équivalent ou supérieur à BB-, c’est-à-dire un niveau de notation assez solide. Concrètement seuls cinq pays africains sont éligible à MIGA. Parmi les discussions à mettre sur la table, c’est peut-être de rendre cet instrument accessible à davantage de pays africains.

À côté de cela, il y a plein de possibilités à explorer pour permettre de soutenir les entreprises, et notamment les ETI, celles de taille intermédiaire qui ont un chiffre d’affaires de quelques centaines de millions d’euros. On les oublie souvent dans les programmes de soutien qui sont souvent ciblés en priorité sur les PME et TPE, or ce sont souvent celles qui exportent le plus, investissent et créent massivement des emplois.

Benoît Chervalier, banquier d’affaires, enseignant à Sciences Po Paris et à l’Essec.
Benoît Chervalier, banquier d’affaires, enseignant à Sciences Po Paris et à l’Essec. © RFI/Floriane de Lassee

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