Le 23 avril, Wathi a organisé une conversation virtuelle avec le docteur Ibrahim Assane Mayaki, ancien Premier ministre du Niger qui dirige depuis 2009 l’Agence de développement économique de l’Union africaine, autour de la question des transformations structurelles des économies africaines.
Lorsque je lui ai demandé ce qu’il pensait aujourd’hui des conditions de vie dans les zones rurales dans les pays d’Afrique de l’Ouest par exemple, il a estimé qu’on avait failli sur le plan de la transformation agricole et du développement rural, et que les gouvernants avaient négligé la dimension de la planification territoriale, la question de l’aménagement des territoires, ce qui était l’une des raisons profondes du drame actuel dans de vastes espaces des pays du Sahel.
Il a aussi mis le doigt sur le fait que les stratégies de développement de la plupart des pays avaient été très orientées par le « binôme donateurs et gouvernements. La Banque mondiale par exemple a pendant des années considéré que la transformation agricole n’était pas une priorité et les gouvernements n’ont manifestement pas su ou voulu définir eux-mêmes leurs priorités. Même s’il y a des évolutions, Assane Mayaki estime que la mentalité n’a pas radicalement changé, et qu’on reste dans une relation « dominant, dominé » avec les donateurs extérieurs qu’on appelle maintenant partenaires techniques et financiers. Il y a cependant quelques exceptions. Le Rwanda de Paul Kagamé, je dirais, comme très souvent, a été donné en exemple.
Et comment explique-t-il la permanence de cette mentalité ?
Son explication est intéressante et nous ramène à la question qui me paraît aussi fondamentale des ressources humaines qui sont au cœur des appareils d’État. Dr Mayaki confie qu’il n’est pas sûr que les meilleurs parmi les jeunes Africains intègrent et ont envie d’intégrer les administrations publiques. Les meilleurs aujourd’hui préfèrent aller monter des starts-ups, créer des entreprises… C’est très bien, dit-il, mais les États aussi doivent continuer à recruter parmi les meilleurs.
C’est tout à fait mon point de vue également. Dans une tribune en 2018, j’estimais qu’au Sahel et en Afrique de l’Ouest, on ne bâtirait pas des États avec des consultants, mais avec une réforme profonde de la gestion des ressources humaines des États intégrant des incitations à l’efficacité et à l’intégrité.
Qu’il s’agisse de l’industrialisation, de la modernisation de l’économie informelle ou populaire, pour reprendre le terme que vous préférez, ou du développement des infrastructures, vous avez en fait beaucoup parlé du rôle décisif des États…
Tout à fait. Dr Mayaki a rappelé que toutes les expériences de transformation économique structurelle le montrent : l’État est le moteur central du développement industriel qui doit lui-même être relié au développement agricole. Nous avons des jeunes qui ont l’esprit entrepreneurial, mais sans stratégie et sans planification mises en place par les États, on ne peut pas donner l’impulsion nécessaire. Cela est vrai évidemment aussi pour les infrastructures et pour une autre exigence fondamentale, l’intégration régionale. Assane Mayaki a donné en exemple l’Afrique de l’Est où les dirigeants planifient ensemble et évaluent ensemble leurs projets d’infrastructures. C’est assurément une voie à suivre en urgence dans les autres régions africaines.