La Sierra Leone commémore ce mardi le 30e anniversaire de la guerre civile qui a éclaté le 23 mars 1991. Une date douloureuse pour ce pays qui a vu disparaître 120 000 personnes dans un conflit déclenché par les rebelles du RUF, le Front révolutionnaire uni. Trente ans après, des femmes, des hommes et des enfants, victimes des affrontements entre factions armées et forces gouvernementales, témoignent de cette période et de leur vie brisée, difficile à reconstruire.
Avec notre envoyée spéciale à Freetown,Christina Okello
Dans le village de Bomaru, à l’est du pays, Vandy Gbosso Kallon, chef traditionnel, se souvient encore du jour où la guerre a commencé. C’était le 23 mars 1991. « Les rebelles ont brûlé toutes nos maisons ont tout pillé et m’ont torturé. Nous avons beaucoup souffert. C’est seulement notre foi qui nous a permis de tenir. »
Les affrontements entre rebelles du Front révolutionnaire uni, et forces gouvernementales ont entraîné le déplacement d’habitants et l’enrôlement d’enfants soldats, par milliers.
Kumba Pessima, une mère endeuillée, témoigne. « Mes deux fils de 7 et 17 ans ont été capturés par les rebelles du RUF… Encore aujourd’hui, je suis toujours sans nouvelles d’eux ».
En ville, où la guerre a gagné la capitale Freetown le 6 janvier 1999, Mohamed Sargo Saccoh, enseignant, raconte aussi une séparation. « Nous étions dans la ville de Bo lorsque la guerre a éclaté. Ma mère s’était rendue à Kono pour visiter mon oncle, puis la guerre l’a rattrapée. Elle a dû fuir en Guinée à pied. Elle y est restée dix ans et est rentrée récemment. Elle a trouvé son plus jeune fils grandi. »
Ces familles éclatées par le conflit et qui se sont perdus de vue, ont dû réapprendre à vivre ensemble. Une chance que néanmoins beaucoup n’ont pas eue.
Et alors que la paix est revenue depuis 2002, certains Sierra-Léonais craignent que les facteurs qui ont provoqué le conflit soient encore d’actualité.
Lorsque la Commission vérité et réconciliation a terminé son rapport en 2004, elle a listé certaines des causes de la guerre : la corruption, l’injustice, l’absence de droits de l’homme dans les communautés, la pauvreté et un très faible niveau d’éducation, voire aucune éducation dans certains cas, mais aussi le fait qu’il n’y avait pas de bonne répartition des ressources naturelles. J’ai donc demandé aux femmes ici, si, après la guerre, ces causes avaient disparu ? Elles m’ont répondu, « non, non, non, … en fait elles sont revenues ».
Patrick Fatomah, coordinateur du tribunal spécial résiduel pour la Sierra Leone
Préserver la mémoire
Le tribunal spécial basé à Freetown a aujourd’hui pour objectif de préserver la mémoire de la guerre civile. Le premier tribunal à être établi sur les lieux mêmes des crimes est aujourd’hui transformé partiellement en musée.
Des images de corps mutilés, des statues de combattants, des photos des accords de paix non tenus, tapissent les murs et les salles de l’ancien tribunal spécial, aujourd’hui transformé en musée. « Dès l’entrée du musée de la paix, nous voulions que le public sachent pourquoi ce lieu existe », explique Patrick Fatomah, coordinateur du tribunal résiduel spécial pour la Sierra Leone.
« De 1991 à 2002, notre nation a subi l’une des guerres les plus atroces. Une guerre que nous nous sommes infligés à nous-mêmes. Le musée de la paix est un lieu de mémoire, où l’on apprend à participer et à construire une Sierra Leone ou la paix serait durable. »
Un devoir de mémoire salué par les associations de la société civile dans un pays où les monuments manquent. Sulaiman Jabati, de l’organisation de la coalition pour la justice et la responsabilité, veut désormais aller plus loin. « Le gouvernement devrait instaurer le 23 mars comme journée nationale de commémoration. Le 23 mars est le jour où tout a basculé. »
Le musée de la paix essaye de combler cette lacune. Avec à l’appui : l’ouverture au public d’une salle d’archives actuellement fermée en raison de la crise sanitaire. D’ici la fin de l’année, un jardin commémoratif sera également inauguré en hommage aux victimes.