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Rwanda: de héros de Hollywood à prisonnier accusé de terrorisme, la chute de Paul Rusesabagina

Le procès de Paul Rusesabagina, opposant au régime de Paul Kagame dont l’histoire a inspiré le film Hôtel Rwanda s’ouvre mercredi 17 février. Celui qui est connu pour avoir sauvé 1 200 personnes dans l’Hôtel des Mille Collines lors du génocide des Tutsis en 1994 est aujourd’hui accusé de « terrorisme » par la justice rwandaise et son image de héros de plus en plus controversée à Kigali.

De notre correspondante, 

« C’est ici que les réfugiés venaient boire l’eau. Dans la piscine », lâche Pasa Mwenenganucye, ancien réceptionniste de l’hôtel des Mille Collines. Vingt-sept ans plus tard, ce rescapé du génocide des Tutsis assure que presque rien n’a changé dans l’établissement. Aujourd’hui encore, le bar branché de l’hôtel et sa piscine en plein cœur de Kigali attirent les expatriés aisés comme la haute société rwandaise. En 1994, l’établissement a pourtant accueilli, pendant un mois et demi, plus d’un millier de réfugiés qui tentaient d’échapper au génocide déclenché le 6 avril 1994 suite à l’attentat contre l’avion de l’ancien président Juvénal Habyarimana. Une histoire devenue célèbre après le succès international du film Hôtel Rwanda, dont Paul Rusesabagina, alors manager de l’hôtel, est le héros.

Mais ce récit est aujourd’hui très controversé à Kigali. « Il n’a eu aucun rôle dans notre sauvetage. Il a juste fait des affaires. Ce film, c’est une histoire de fiction, créée pour faire sensation au dépend des rescapés du génocide des tutsis et des victimes de l’Hôtel des Mille Collines » lâche Pasa, amer. Il accuse Paul Rusesabagina d’avoir fait payer les chambres et la nourriture de l’hôtel aux rescapés et de leur avoir coupé l’eau et les lignes téléphoniques.

Pourtant, pendant longtemps, Paul Rusesabagina a été considéré comme un héros par beaucoup. « Je le connais comme un homme qui nous a vraiment aidés », explique Hosea Niyibizi, lui aussi rescapé des Mille Collines et vivant aujourd’hui à l’étranger. « Bien sûr, dans l’hôtel, il y avait beaucoup de monde, les gens dormaient où ils pouvaient, parfois dans les corridors. C’était une situation catastrophique. Mais si nous avons survécu, c’est parce que Paul Rusesabagina nous a protégés. Lorsque les militaires du régime génocidaire venaient, il les a convaincus de ne pas entrer dans l’hôtel en leur donnant de la bière ou d’autres choses », assure-t-il.

« La plupart des critiques du film ont émergé après que Paul Rusesabagina ait exprimé son opposition à la politique du gouvernement de Paul Kagame. Quand le film avait été projeté à Kigali, j’avais eu des retours positifs », se souvient Keir Pearson, le scénariste du film Hôtel Rwanda. « Ce que j’avais trouvé au cours de mes recherches à l’époque, c’était que c’était un homme qui, pendant le génocide, avait agi alors que le reste du monde n’avait rien fait », dit-il.

Arrêté dans des circonstances douteuses

Paul Rusesabagina, passé dans l’opposition au régime de Paul Kagame, est aujourd’hui derrière les barreaux à Kigali après avoir été arrêté dans des circonstances mystérieuses fin août alors qu’il était en voyage à Dubaï. « Un enlèvement », selon sa famille, des organisations des droits de l’Homme mais aussi pour les parlementaires européens qui ont récemment appelé à l’ouverture d’une enquête indépendante sur les conditions de son arrestation. Il est visé par neuf chefs d’accusation pour son implication présumée dans des attaques d’un groupe armé dans le sud du Rwanda en 2018. Pour ses proches, c’est le résultat d’une cabale du gouvernement rwandais contre un opposant.

« Paul Rusesabagina est un citoyen ordinaire, devenu criminel », assure de son côté le chercheur Alfred Ndahiro, auteur du livre « Hôtel Rwanda ou le génocide des Tutsis vu par Hollywood » et aujourd’hui conseiller du président Paul Kagame. « Ce qui a sauvé les réfugiés des Mille Collines, c’est avant tout la présence de soldats de la mission de l’ONU devant l’hôtel, ainsi que le profil des réfugiés : des diplomates, des employés d’ONG et des membres de la haute société rwandaise, des journalistes. Lui, il s’est seulement appuyé sur une image de héros fabriquée par Hollywood pour s’engager dans d’autres activités », explique-t-il.

Ces activités, c’est la politique. En 2006, deux ans après la sortie du film, Paul Rusesabagina fonde le Parti pour la démocratie au Rwanda ( PDR). « Notre objectif était de combattre la dictature à parti unique du Front patriotique rwandais de Paul Kagame et les exactions qu’il commet jusqu’à aujourd’hui » explique Célestin Komeza, secrétaire exécutif du parti.

Museler l’opposition, même à l’étranger

À ce moment-là, Paul Rusesabagina vit en Belgique depuis dix ans et a quitté son travail de chauffeur de taxi. Il devient rapidement reconnu internationalement comme un défenseur des droits de l’homme, se voit décerner la médaille de la liberté par le président George W Bush, lance la Fondation « Hôtel Rwanda Rusesabagina » et écrit un livre, « Un homme ordinaire », dans lequel il raconte son histoire et critique la politique du gouvernement de Paul Kagame. « Après la sortie du film, il a utilisé sa nouvelle renommée internationale pour éclairer sur les violations de droits humains commises au Rwanda. Et c’est là qu’ils ont commencé à l’attaquer », indique sa fille adoptive, Carine Kanimba. En 2010, alors que l’opposant a déménagé au Texas, le procureur général rwandais Martin Ngoga annonce avoir la preuve que Paul Rusesabagina finance les FDLR, un groupe armé hutu opposé à Paul Kagame initialement formé en République démocratique du Congo (RDC) par d’anciens génocidaires.

« Le régime de Paul Kagame est extrêmement efficace lorsqu’il s’agit de museler l’opposition, même en dehors du pays. Or, Paul Rusesabagina était l’un des rares à pouvoir parler », explique le chercheur Timothy Longman qui a connu Paul Rusesabagina dès les années 1990. « À l’époque, il était très modéré. Mais quand il a commencé à attirer l’attention, quand il a écrit son livre, ils ont lancé une campagne de dénigrement contre lui. Plus il était attaqué, plus il devenait critique. Il est devenu très virulent, et il est entré en 2018 dans la plateforme MRCD ».

C’est son lien avec cette plateforme de l’opposition et son bras armé, les Forces de libération nationale (FLN), qui est aujourd’hui mis en cause par la justice rwandaise. En 2018, peu après sa création, le FLN a revendiqué plusieurs attaques dans le sud du Rwanda. Selon les autorités rwandaises, elles ont fait une dizaine de victimes. Le dossier de Paul Rusesabagina a ainsi été fusionné avec celui d’une vingtaine d’autres accusés, tous soupçonnés de faire partie du FLN. Sa famille comme son parti assurent que l’opposant était chargé de la diplomatie au sein du MRCD et qu’il n’avait aucun lien direct avec le FLN.

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