Comme pour sa naissance et son intronisation, la mort du roi tout comme ses funérailles n’étaient pas des plus ordinaires. Le caractère sacré du pouvoir du souverain, c’était aussi à l’arrivée et au vécu de la grande faucheuse. Éclairage.
Toute vie a une fin. Même celle du roi, des rois burundais. Seulement, pour ces derniers, la mort était vécue exceptionnellement. À en croire Emile Mworoha, dès l’annonce de la mort du roi, c’est la reine-mère qui s’occupait du cadavre, en enduisant du beurre sur le corps du défunt souverain. Et entre temps, les babitsi, des personnes chargées d’annoncer la mort du roi sillonnaient le pays. Les uns se rendaient à la cour des chefs pour annoncer la terrible nouvelle, les autres partaient dans la région des tombeaux royaux pour avertir les ritualistes « Biru » (ils étaient chargés des funérailles des rois) de venir prendre le corps du roi.
Mis au courant, les chefs décidaient alors de la mise en deuil du pays qui consistait en l’arrêt complet de toute activité créatrice pendant un mois. Oui, un mois au cours duquel il était interdit de cultiver, de forger le fer. Un mois aussi qui imposait aux hommes de s’abstenir de toute relation sexuelle.
Mworoha fait savoir que les récalcitrants se voyaient confisquer leurs biens. Autant donc dire que le monde était à l’envers, livré au chaos, comme le reconnaît d’ailleurs Emile Mworoha. D’ailleurs, ne disait-on pas que le ciel s’est effondré (ijuru ryakorotse).
Les incontournables « Biru »
Placé sous responsabilité des Biru, l’enterrement du roi se passait au nord du Burundi, à Nkiko-Mugamba, à la frontière septentrionale entre l’ancien royaume du Rwanda et celui du Burundi, précisément dans la commune actuelle de Muruta. Informés de la mort du roi, note Jean-Pierre Chrétien dans son article « Les tombeaux des bami du Burundi : un aspect de la monarchie sacrée en Afrique orientale », ces Biru se rendaient à la cour et on leur remettait le corps.
Et depuis la cour royale jusqu’au lieu de la conservation du corps, continue Chrétien, un grand cortège de notables suivait le roi. Il s’agissait d’une brochette de personnages politico-religieux, en particulier le devin royal et une fille du clan des Bahanza qui deviendra l’épouse du Mwiru en chef. Il y avait aussi le cuisinier et le trayeur, les taureaux sacrés, le bélier du roi et son chien.
Quant aux bisigi (les restes du roi) notamment ses armes, ses bijoux, ses amulettes (ibiheko) ou ses instruments de musique, son jeu de tric-trac (ikibuguzo), etc., ils devenaient propriétés des Biru.
Ô joie, le roi est mort !
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une fois à Nkiko, lieu d’enterrement, le corps du roi était accueilli avec des cris de joie. Le deuil qui frappait tout le pays ne concernait pas le pays des Biru. Le même phénomène s’observait à Mpotsa (dans l’actuelle commune Rusaka à Mwaro), lieu d’enterrement des reines-mères. C’est du moins ce qu’écrit l’historien Pascal Ndayishinguje dans « Intronisation des bami : un aspect de la monarchie sacré » (disponible aussi à la bibliothèque centrale de l’Université du Burundi).
Pour Mworoha, cette façon d’accueillir les souverains défunts semble suggérer que dans l’esprit des ritualistes, le mwami ne meurt pas. Il continue à vivre. D’ailleurs, assène-t-il, le roi n’était pas enterré. Les ritualistes construisaient un palais mortuaire à l’intérieur duquel était dressé une sorte d’étagère où ils déposaient le corps du roi. En dessous, quatre ritualistes faisaient du feu jusqu’à ce que le cadavre soit totalement desséché. Ce « boucanage » du corps durait trois mois et se faisait avec des bois odoriférant.
Paradoxal aussi, après cette période, les Biru allaient à la cour royale et s’emparaient de l’enclos dans lequel le roi était décédé et rentraient chez eux, emportant tout le bétail. Un retour qui se faisait en grandes pompes, les Biru se partageant les cadeaux tandis que le ritualiste en chef se mariait avec la fille Muhanza et prenait le nom du roi défunt.
« Kwiha ubuki », vraiment ?
« Le roi ne meurt jamais. C’est lui-même qui se décide à céder le pouvoir lorsque son successeur atteint l’âge de diriger le pays ». Vous l’avez sûrement déjà lu ou entendu. De même, on ne disait jamais que le roi est mort, mais on disait yatanze (il a cédé, ndr) ou yanyoye ubuki (il a bu l’hydromel, ndr).
Mais les choses se passaient nécessairement ainsi ? Mworoha pense que non. Pour lui, la situation ne se présentait pas toujours ainsi. « En effet, pense cet historien, il n’est pas évident, au moins au XIX siècle, que le roi se donnait la mort dès la majorité de l’héritier ». D’ailleurs, des souverains morts soit au cours de la guerre ou tout simplement de vieillesse ne sont pas ceux qui manquent. Par exemple, Ntare Rugamba mourut de pian, Mutaga Senyamwiza périt lors de la guerre contre le Rwanda. Mwezi Gisabo quant à lui mourut très vieux le 21 août 1908. Son successeur Mutaga Mbikije lui, fut victime de rivalités familiales le 30 novembre 1915. Et de conclure que l’éventualité de prise de poison se situait précisément à l’extrême vieillesse.