Étape incontournable de l’entrée en fonction du nouveau roi, l’intronisation dans le Burundi monarchique était une fête célébrée en grande pompe, avec certaines pratiques qu’un Burundais du 21ème siècle ne saurait nécessairement comprendre.
Pour l’investiture du nouveau roi, plusieurs rites devaient être effectués. D’abord, ce passage obligé au confluent des rivières Mucece et Nyavyamo où le grand chef s’adressait au peuple avec un « Eh, Barundi mwese, voilà votre mwami un tel ». Et au peuple d’acclamer le nouveau mwami par les cris de joie « impundu » et de l’applaudir trois fois de suite. C’est ce que rapporte Eugene Simons dans son livre « Coutume et institutions des Barundi ».
Instrument important de la royauté, et après cette proclamation du nouveau roi, rapporte toujours Simons, le tambour Rukinzo donnait le ton aux autres tambours qui battaient avec un rythme déchainé.
Entrait alors en scène un personnage pour le moins atypique : umuguruzi w’urunyoni*. À la proclamation du nouveau roi, ce personnage muni d’un tam-tam, conduisant une vache et une chèvre noires, partait pour annoncer la bonne nouvelle. Hué par le peuple venu pour la circonstance, il partait pour ne plus revenir. La légende veut qu’il parte annoncer l’avènement du nouveau roi jusqu’aux extrémités du pays.
Mais quel sens donner à ce rituel ?
Une vache et une chèvre noires ? Pour l’historien Pascal Ndarigumije dans son ouvrage, « Intronisation des bami : un aspect de la monarchie sacré » (disponible à la bibliothèque centrale de l’Université du Burundi), cela comporterait une double signification. Selon lui, le petit tam-tam, c’est pour avertir, annoncer, le plus souvent, un événement heureux. Et pour la chèvre, la couleur noire n’est ni originale ni extraordinaire. Mais pour la vache, certaines familles n’élevaient jamais une vache de couleur noire. Ça portait malheur. À notre historien de se demander si les deux bêtes à la couleur indésirable étaient une sorte de sacrifice offert aux esprits maléfiques.
Suivra, cette fois au sommet de la colline Nkondo, à Rubumba, d’autres rites, principalement la plantation par le jeune roi de l’arbre dit « Ikigabiro ». Ce dernier était le seul symbole qui devrait caractériser tel roi ou qui l’identifiait en quelque sorte. Ces arbres plantés étaient aussi là pour prolonger le plus longtemps possible la vie du monarque dont ils portaient le nom.
Dès lors, Ikigabiro symbolisait non seulement l’accession au pouvoir du roi, mais perpétuait aussi son règne et incarnait en quelque sorte sa personne.
L’intronisation, c’était aussi un sacrifice humain
Un petit retour au confluent des rivières Mucece et Nyavyamo. Sur ce lieu se passait ce qu’Emile Mworoha qualifie de sacrifice humain accompagnant chaque intronisation du roi. Obligatoire à l’avènement de chaque roi, continue Mworoha, la victime était toujours désignée dans la même famille du clan des Bahigwa et de l’ethnie tutsi. Dès l’annonce de la mort du roi, précise Ndarigumije, les membres de cette famille fuyaient le pays. Ils ne revenaient qu’après la désignation de celui d’entre eux qui sera sacrifié, de gré ou de force.
Et pour l’occasion, complète Mworoha, de l’hydromel était donné à la victime pour stimuler son courage. Après, par centaines, des vaches assoiffées étaient lâchées vers la rivière, piétinant de leurs sabots la malheureuse victime qui ne tarde pas à périr. Son corps restait là, gardé jusqu’à sa disparition complète.
Et ce n’était pas tout comme « sacrifice humain ». Pascal Ndarigumije fait savoir qu’à Mbuye, un nouveau sacrifice avait lieu. Et cette fois, la victime était un hutu, de la famille des Bahanda. Saisi dans sa hutte et étranglé sans aucune effusion de sang, car si non, il faudrait recommencer sur une autre personne. La victime était portée à l’entrée principale du rugo et tout le cortège passait au-dessus de son corps avant d’entrer.
Si les historiens s’accordent à dire que ces pratiques (d’une autre époque) étaient dans le but de montrer que le roi détenait le droit de vie et de mort sur ses sujets, Emile Mworoha, conseille d’éviter « l’anachronisme, cette façon d’attribuer à une époque ce qui appartient à une autre ». Pour lui, il ne faut pas chercher à comprendre ces pratiques d’intronisation en faisant référence aux considérations actuelles des droits de l’Homme. « C’étaient des manières de faire normales à leur époque, mais effectivement anormales et impensables dans le monde d’aujourd’hui ».
*Certaines versions disent aussi que ce personnage allait plutôt annoncer le décès du roi