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POLITIQUE

Comment une « blague » pourrait coûter 15 ans de prison aux quatre journalistes d’Iwacu

« Tugiye gufasha abaroberi/ Nous allons aider les rebelles ». Voici le message fatal qu’Agnès Ndirubusa a envoyé par Whatsapp à « un ami journaliste » en partant en reportage à Musigati. Un message brandi par le ministère public comme preuve irréfutable de la complicité des journalistes. Une malheureuse blague qui a mal tourné.

Retour en arrière. Le 22 octobre, une équipe de reporters du journal Iwacu se rend à Musigati dans la province Bubanza. Une attaque de « rebelles » y a été signalée et les réseaux sociaux s’en font l’écho. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza partent enquêter. Ils ne reviendront pas. Arrêtés, ils sont d’abord incarcérés au cachot du commissariat provincial, puis au cachot du commissariat communal, avant d’être transférés à la prison de Bubanza au cinquième jour de leur incarcération.  

69 jours après leur arrestation, les 4 journalistes du groupe de presse Iwacu emprisonnés et leur chauffeur (libéré entretemps) ont comparu au tribunal de grande instance de Bubanza ce 30 décembre. Un seul et même chef d’accusation pour les cinq : complicité d’atteinte à la sûreté intérieure d’État. Un réquisitoire terrible : une peine de 15 ans de prison ferme avec 5 ans sans droit de voter pour les cinq prévenus. En plus, le véhicule et tout le matériel saisi dont un appareil photo, quatre téléphones, etc. deviennent le patrimoine de l’État. 

« Tugiye gufasha abaroberi »

« Nous allons aider les rebelles ». C’est ce message envoyé par Agnès à un confrère à l’étranger qui fait qu’elle et ses trois collègues croupissent en prison et donne à leur procès un air tragi-comique.  

Toute de vert vêtue, Agnès, la première incriminée, est pensive sur le banc des accusés. Et quand elle se lève, c’est pour clamer son innocence.  « [Les journalistes] avons parfois notre propre langage […] Si une maman dit à son enfant qu’elle va le tuer, tout le monde sait qu’elle ne le fera pas. […]  À part ce petit message, que j’ai écrit en blaguant, y a-t-il d’autres éléments qui m’accusent ? Pourquoi le ministère public ne considère pas les autres messages que j’ai écrits au même destinataire. Ils n’ont rien à voir avec la rébellion », se défend-elle, assistée pas trois avocats devant les juges.

La journaliste et juriste de formation veut prouver à tout prix que leur arrestation, et de facto leur emprisonnement, ne tiennent sur aucun élément tangible : « On nous a arrêtés, en nous accusant de collaborer avec les rebelles. Trois jours après, on m’a dit qu’on a découvert ce fameux message dans mon téléphone. Si c’est ainsi, pourquoi nous avoir emprisonnés pendant trois jours sans aucune preuve alors qu’on était en règle ?». Aux trois journalistes de démontrer qu’ils étaient allés en reportage avec ordre de mission, cartes de presse, etc.

Une blague qui finit mal

Le procès n’a pas beaucoup duré. Il a été mis en délibéré. Le verdict sera rendu aux plus dans 30 jours. Mais aux yeux de l’assistance, il y avait anguille sous roche. Un policier, en uniforme, qui suit parmi les autres à l’extérieur, lâche en partant : « Des filles comme celle-là dans la rébellion ! Finalement, vous ne savez pas ce que c’est le maquis ».

Quant au chauffeur, même en comparaissant libre, il a plaidé pour sa cathédrale, mais aussi pour les autres : « En ce qui me concerne, on m’a dit d’amener les journalistes sur terrain comme c’est toujours le cas. Quant à leur mission, je ne dois pas savoir le motif. Qu’on m’acquitte avec mes collègues. Ils sont innocents. Qu’on me donne aussi le véhicule de service, car sans véhicule, je n’aurai plus de boulot, j’irai au chômage. »

Après le procès, la population de Bubanza a regardé les prévenus repartir à la prison, les uns disant timidement : « courage », les autres détournant pudiquement le regard. Et moi, j’ai saisi cette occasion pour leur donner une accolade, en m’efforçant de sourire. Un sourire qui ne réconfortera pas ces journalistes obligés de finir l’année en prison, à cause d’un malheureux message.

 

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