Alors que le monde célèbre ses disparus, notre blogueur Didier Ndayirorere a écrit une lettre à la mort, non pas pour s’attirer les faveurs de cette dernière, mais en signe de respect à son appétit de grande faucheuse.
Chère Mort,
L’envie (ou le risque) me prend de vous adresser cette correspondance en ce début de novembre car il parait que ses premiers 48 heures, presque partout autour du globe, les terriens célèbrent leurs disparus, J’imagine qu’il s’agit d’une consécration (ou une manifestation) pour ton chef-d’œuvre, une manière de banaliser ta funeste et éternelle présence dans leurs existences.
Cette missive n’est pas pour amadouer ton âme, si tu en as une, afin de m’attirer tes faveurs qui consisteront à m’accorder un sursis, quand mon temps sera révolu ou assagir ton insatiable appétit de grande faucheuse. Prends donc cette missive comme une manifestation du respect, certes forcée, devant ta puissance face à l’existence, une révérence voilée face à ton seul et unique irrévocable jugement que tu réserves à tes débiteurs.
Je vis en attente de ton baiser glacé…
Dans mes heures de profonde solitude, je me suis rendu compte que je t’ai dans la peau depuis ma conception. Certains vont même jusqu’à maudire le jour de leur anniversaire pour ça. Tu m’es une épouse que la vie m’a commise d’office, rarement présente dans ma misérable existence et dont la seule et unique fois où tu daigneras te montrer, je devrais le payer de ma vie. Avec toi à mes côtés, j’ai été conçu, je suis venu, j’ai vu et continue de voir, et ne vaincrai ni ne te survivrai, tu t’en assureras toi-même, par ailleurs.
Ton fidèle allié est le temps. Il est un prestidigitateur corrompu qui a forgé mon passé, me faisant souvent oublier de profiter de mon présent mais aussi craindre mon avenir. Il m’a fait comprendre l’inéluctabilité de l’issue de notre relation, l’inutilité d’y résister et la nécessité de me soumettre à l’évidence : seul la mort nous séparera. Et tu tiens toujours tes promesses.
Inéluctable
J’ai entendu dire qu’on ne s’avoue vaincu que lorsque l’on est vraiment mort. Tant qu’on respire, il y a toujours de l’espoir, aussi infime soit-il, de te survivre. À défaut de me procurer la fameuse formule magique, en défaut de temps et de référence pour me lancer à la recherche de l’eau de la vie, je vis chaque instant en essayant de laisser ma marque dans le cœur de ceux qui auront bien voulu accepter et supporter mon existence à leurs cotés. Je me vois bien embrasser l’enthousiaste d’un chrétien convaincu de t’avoir conquis depuis sa conversion, le stoïcisme d’un oriental grâce à la réincarnation ou le je m’en foutisme d’un scientifique qui réfute tout ce qui est superstition et se contente uniquement des faits. N’étant pas totalement convaincu par aucune de ces échappatoires, mon seul et unique assurance de te survivre sera de coller mon patrimoine génétique et tout ce qui va avec à mes descendants. Ma mémoire me survivra à travers leurs existences, en espérant bien sûr que le temps ne me trahisse pas.
Sur ce, très chère Mort, je te laisse. Quand tu viendras réclamer ton dû, j’ose espérer être prêt à t’accueillir sans rancune, le cœur léger, la paix dans l’âme, un semblant de sourire sur les lèvres et avec l’ultime conviction d’avoir vraiment vécu.