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Buterere : « C’est le marché international qui m’a sauvé »

Bien qu’annoncée comme non-fonctionnelle en attendant l’aménagement d’une autre décharge à Muzinda, celle de Buterere s’est invitée dans la vie des gens vivant autour. Et interdit de parler de décharge. Pour eux, il s’agit du « marché international ». Immersion.

Buterere. 16h15, je suis avec mon complice et guide, Lionel, la vingtaine, natif de la contrée. Je n’ai jamais mis les pieds dans cet endroit, mais la conscience collective l’avait déjà réduit à l’archétype même de la saleté. Un jour, j’ai même entendu un voisin monter sur ses grands chevaux pour rabrouer son enfant qui venait de déverser le reste de son repas devant le barza de la maison en lui jetant à la figure un rude : « ugomba uhagire ku Buterere ? ». Depuis ce jour, s’est niché dans une petite parcelle de mon inconscient que Buterere est tout bonnement  synonyme d’ordures. Eh oui, se faire un cliché, ça ne demande pas grand-chose. Un rien peut faire l’affaire.

Bizarrement, je trouve plusieurs Buterere plutôt qu’un. D’un coté une partie bien nantie. De belles maisons y poussent comme des champignons. Je sens une petite honte au fond de moi. « Alors que je pensais y trouver que de la crasse ! ».  Je ne tarde pas à déchanter. Après les villas, nous entrons dans l’autre Buterere. Une zone aux baraques de loin moins huppées. Je vois au loin une mer d’immondices où des îlots de fumée contrastent le tableau d’un monotone noir. Je suis à quelques minutes de découvrir une facette morne de la vie autour du dépotoir. Mon ami Lionel me glisse une règle d’or à observer. « Ne parle pas d’Iyarara -la poubelle-, ici on parle de « kw’isoko mpuzamakungu » – le marché international- ».

« Les déchets m’ont sauvé »

Une odeur nauséabonde. Des flaques d’eau souillée. Des camions arrivent en provenance du centre-ville remplis de détritus issus des poubelles des ménages et d’autres amassés ça et là dans les égouts de Buja, la belle. Fruits pourris, restes de mets, morceaux de charbon à bois, tout est bon à prendre. Armés de morceaux de bois, des femmes, des enfants, des jeunes se ruent vers les camions pour essayer d’y dénicher une pacotille à revendre à un vil prix. Mais d’autres y sont à la quête de quoi mettre sous la dent. Hilare, un gamin arbore comme un trophée un morceau de pain qu’il vient de dénicher. « C’est une sacrée chance, me révèle Lionel, il passera le reste de la journée dans cette joie ». Je suis sur le point de lui demander si ce ne serait pas dangereux pour la santé mais je préfère ranger mon hypocondrie.

Mon ami se lance dans un long récit sur les tribulations de sa famille. Orphelin de père dès sa tendre enfance, il verra sa mère mourir en 2015, lui laissant deux sœurs dont une séropositive. La vie impose à cet adolescent le statut de père, de mère et de grand frère. Et comment s’y prendre dans cette situation peu enviable ? « C’est le marché international qui m’a sauvé », martèle-t-il avec une foi d’un bon catholique qui dirait « Jésus est ressuscité trois jours après sa mort ». Prudence est un mot que l’on envoie balader au marché international. « Le choléra ? C’est une manie de gens gâtés », tranche une femme qui creuse frénétiquement dans un tas de déchets alors que son bébé qu’elle porte sur le dos a la face envahie par un essaim de mouches, dans l’indifférence totale de sa mère.

Après une journée de dur labeur, « les plus chanceux peuvent décrocher une somme de deux milles francs burundais, sinon la moyenne gravite autour de mille francs ». Le regard dardé sur un camion qui arrive, Lionel s’excuse et me dit qu’il doit s’en aller. Qui suis-je pour l’en empêcher ?

 

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