La colonisation avait instauré une occupation de la ville de Bujumbura basée sur la ségrégation. Six communautés, au moins, vivaient séparément et une ordonnance avait été édictée.
Selon l’historien et professeur à la retraite Emile Mworoha, dans Bujumbura (à l’époque Usumbura), la ségrégation des lieux de séjours était légalisée. Il invoque une ordonnance du 29 mars 1926 qui ne faisait « qu’étendre l’ordonnance du 12 février 1913 et celui de 1915 du gouverneur du Katanga sur les cités indigènes ».
«Il sera créé dans les circonscriptions urbaines des quartiers distincts pour les personnes de couleur ou de race non européenne qui ne pourront y résider que moyennant une autorisation écrite de l’autorité territoriale. Toutefois, les personnes qui sont au service des résidents du quartier européen en raison de deux serviteurs par maître y résident avec leurs femmes et leurs enfants. Elles ne pourront y occuper que des immeubles constituant des dépendances de l’établissement de leur employeur. Toute personne y séjournant illégalement sera punie de 7 jours de servitude pénale ou de 200f d’amende ».
De même, souligne-t-il, il était interdit aux Européens de circuler ou de résider dans les quartiers noirs.
Les Belges et les Grecs
Ainsi, depuis les années 1930, les quartiers existants à Usumbura étaient habités par des communautés établis séparément.
Pie Masumbuko, 88 ans, premier docteur en médecine du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi, abonde dans le même sens. Les Belges, wallons et flamands, qui tenaient les rênes du pouvoir avaient un espace propre à eux, particulièrement les quartiers résidentiels : «Ils se détestaient ethniquement, mais l’administration ne les logeait pas séparément».
La communauté des Grecs, tenanciers des magasins, des hôtels, des restaurants, etc., vivaient au centre-ville. En témoigne par ailleurs des noms toujours gravés dans la mémoire des citadins dont le plus célèbre serait sans doute Paguidas Haidemenos. Les grecs avaient fait construire une église orthodoxe, toujours fonctionnelle sur l’avenue de la RDC, en face du luxueux bar Arena.
Les Asiatiques, en majorité d’origine indienne
Il y avait une communauté asiatique constituée essentiellement des Indiens : « C’était un empire des Indes avant sa division en Inde et Pakistan en 1947 », fait savoir Pie Masumbuko. Ils vivaient du commerce et le quartier où ils habitaient garde toujours la même appellation, donc quartier asiatique.
En plus, Bujumbura avait des centres dits ‘‘extra-coutumiers’’ réservés aux noirs, excepté les Burundais dont la venue dans la ville est tardive, et dotés d’une organisation propre.
Une communauté swahili
Le professeur Mworoha parle de Buyenzi et de l’actuelle Bwiza, alors appelé « camp belge » connu dans l’opinion sous le nom de «Ibeleshi».
Une ordonnance du gouverneur du Ruanda-Urundi Yunyers a créé en 1941 « le village dite swahili », c’est le centre de Buyenzi. Il était habité par une « communauté fondamentalement musulmane » en provenance de Tanganyika territory et vivant en grande partie de l’économie informelle. Signalons que la Tanzanie résulte de la fusion de Tanganyika territory et du Zanzibar en 1964.
Le professeur Mworoha tient à ajouter que les habitants de Buyenzi vivaient aussi d’autres métiers. « Des swahilis possédaient des champs à Rumonge, et à Muzinda et dans la plaine de la Rusizi ».
Ibeleshi, un quartier congolais
Quant au ‘‘camp Belge’’, l’historien parle d’un quartier presque entièrement congolais où habitaient des Congolais de toutes les origines, Baluba, Babembe, etc. « C’était de petits agents travaillant dans l’administration des banques, les petites industries ou les employés de maisons, boys, etc., du personnel colonial européen».
La première caractéristique de ce quartier, souligne le professeur Mworoha, c’est le rôle de la danse et de la musique.
Beaucoup rentreront dans leur pays à la suite de la proclamation de l’indépendance le 30 juin 1960.
Quid des Burundais ?
Pour ce qui est des Burundais et Rwandais (Usumbura était la capitale du Ruanda-Urundi) qui habitaient dans Bujumbura, ils étaient assignés dans des faubourgs du nord notamment Kamenge, créé en 1952. Mais avant, Bujumbura n’en comptait pas parmi ses habitants.
Néanmoins, indique Pie Masumbuko, il y avait moins d’interdiction que d’envie et de besoin de la part des ‘‘Barundi’’ peu habitués à vivre dans les villages. « Les ouvriers quotidiens burundais comme au port faisaient des allers-retours, même ceux venant de Jenda ».
Ce ne sera qu’en 1952 que la tutelle fera construire le quartier Office des cités africaines (OCAF), l’actuel Ngagara, un lotissement pour les fonctionnaires burundais et rwandais dont l’administration avait besoin.