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Cinéma

Kenya: une pièce longtemps interdite de Ngugi wa Thiong’o de nouveau jouée à Nairobi

Renowned Kenyan writer Ngũgĩ wa Thiong'o reads excerpts from his recent work in both Gikuyu and English during a presentation in the Coolidge Auditorium, May 9, 2019. Photo by Shawn Miller/Library of Congress...Note: Privacy and publicity rights for individuals depicted may apply.
C’est un événement au Kenya : 45 ans après son interdiction, la pièce de théâtre Ngaahika Ndeenda (Je me marierai quand je veux) est de nouveau jouée à Nairobi. Très critique sur l’héritage colonial dans le Kenya post-indépendance, et jouée en langue gikuyu, cette pièce avait valu en 1977 la prison, puis l’exil à ses deux auteurs, parmi lesquels Ngugi wa Thiong’o régulièrement pressenti pour le prix Nobel de littérature.

Avec notre correspondante à Nairobi, Florence Morice

« Unissons-nous et organisons-nous », lancent en cœur les acteurs. Un cri de révolte pour dénoncer l’exploitation du peuple par une petite élite dans le Kenya postindépendance. Le propos est virulent, mais pour l’un des auteurs Ngugi wa Thiong’o, toujours installé aux États-Unis, si ce texte lui a valu un an de prison puis l’exil, c’est pour avoir osé le faire jouer en langue gikuyu et par des paysans et ouvriers kényans dans sa ville natale Limuru.

« Dans les contextes coloniaux, la langue a toujours été utilisée comme un instrument pour contrôler les esprits. À l’époque, les enfants étaient battus ou punis s’ils étaient surpris en train de parler leur langue maternelle à l’école », raconte le dramaturge.

Aujourd’hui, les acteurs sont professionnels. La pièce est jouée en anglais et en gikuyu au théâtre national, ce qui a séduit le metteur en scène britannique, Nash Stuart, c’est dit-il la force et l’universalité du propos : « La pièce est critique envers la société postcoloniale. Mais tous les thèmes abordés semblent encore pertinents aujourd’hui. La pauvreté, le manque d’opportunité, le fossé entre les riches et les pauvres, et pas seulement au Kenya. »

De nombreux spectateurs enthousiastes soulignent l’actualité du propos dans un Kenya, frappé dans certaines régions par une crise alimentaire, alors que deux multimillionnaires vont s’affronter lors de la présidentielle d’août prochain.


• Le choix de la langue maternelle

C’est suite à cette expérience et cet exil que Ngugi wa Thiong’o a décidé de faire « son adieu à l’anglais », langue imposée par la colonisation britannique, et de ne plus écrire qu’en gikiyu sa langue natale. Un choix rare et fort, qui marque la l’histoire de la littérature africaine, mais explique aussi sans doute « en partie que cet auteur célébré dans le monde anglophone et au-delà reste encore assez peu connu et traduit dans l’espace francophone ».

C’est certain que le fait qu’il ait pris cette position linguistique d’écrire dans sa langue maternelle a sûrement joué, et on le range sans doute dans une catégorie d’écrivains locaux. De fait, il y a un paradoxe : alors que son grand mérite c’est d’écrire dans sa langue maternelle, il le paye en quelque sorte. C’est la preuve que son combat est nécessaire, c’est la preuve qu’il faut absolument assumer cette position qui est peu assumée.

Jean-Pierre Orban, traducteur du premier tome des mémoires de Ngugi wa Thiong’o, «Rêver en temps de guerre», qui vient de paraître en Français

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