Reprise ce jeudi 5 mai 2022 du procès de six sages-femmes à Louga, à la suite d’un report d’audience le 27 avril. Elles sont poursuivies pour « non-assistance à personne en danger » après la mort en couches à l’hôpital régional d’une jeune femme d’une trentaine d’années : Astou Sokhna, enceinte de neuf mois, décédée dans le service de maternité début avril avec son bébé, après de longues heures de souffrance. Sa famille dénonce des « négligences » médicales. Un drame qui a suscité une énorme émotion dans le pays, et libéré la parole sur la mortalité des femmes dans le cadre de leur grossesse ou de leur accouchement.
De notre envoyée spéciale à Louga,
« Il y a des milliers d’Astou Sokhna au Sénégal », « cette affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg », affirme une membre du collectif citoyen baptisé Patients en danger, créé après le décès de la jeune femme à Louga. Plusieurs semaines après le début de la polémique, la famille d’Astou Sokhna, notamment son mari Modou Mboup, et sa mère, Maïmouna Ba, « n’ont pas encore eu le temps de faire le deuil », affirme l’un de leurs avocats, maître Patrick Kabou.
Pétition, manifestations, avalanche de témoignages sur des cas similaires ou des complications pour les femmes enceintes, notamment dans les zones rurales, Aïda Mbaye, de l’Association des juristes sénégalaises, est montée au créneau quand l’affaire a pris de l’ampleur : « Le système sanitaire du Sénégal semble avoir un problème avec la maternité, et plus généralement avec la femme », affirme-t-elle avec colère. « On n’entend pas ce genre de problème dans les autres services de santé : un mauvais accueil, ou des négligences entraînant la mort. Il est temps que cela cesse. Nous ne condamnons pas seulement ce qui s’est passé dans l’affaire Astou Sokhna, nous combattons le système sanitaire en matière de grossesse, de maternité, de prise en charge des femmes dans ce pays. Nous demandons d’aller au-delà des mesures disciplinaires, avec des sanctions pénales. »
Les sages-femmes poursuivies « se sentent victimes »
Six sages-femmes de l’hôpital de Louga sont donc poursuivies dans ce dossier. Quatre d’entre elles sont sous mandat de dépôt, deux autres en liberté provisoire. Mais pour leur défense, elles ne peuvent pas être tenues pour responsables du décès d’Astou Sokhna. « Elles ne comprennent pas », les faits qui leur sont reprochés, « elles se sentent victimes », affirme leur avocat maître Abou Abdoul Daff. Pour lui, « il n’est pas acceptable de penser qu’il y aurait non-assistance à personne en danger dans une structure sanitaire, dès lors que la personne a été accueillie, elle a été installée, un diagnostic a été fait, et le protocole respecté. Elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient. Elles nous posent même la question : “Est-ce que nous pouvons éviter la mort ?” ». Selon l’avocat, « cela remet sur la table la question de l’obligation de moyens ou de résultats. Cela a commencé à faire tache d’huile dans le pays : À chaque fois qu’il y a un décès dans une structure sanitaire, les gens parlent de non-assistance ou de négligence, ce n’est pas possible ! », conclut-il.
Coïncidence : le procès se tient ce 5 mai, Journée internationale de la sage-femme. L’Association nationale des sages-femmes d’État du Sénégal est mobilisée pour soutenir ses collègues. Selon sa présidente, elles ne doivent pas être « les agneaux du sacrifice ». Plusieurs syndicats de professionnels de santé ont lancé un nouveau mot d’ordre de grève pour marquer leur solidarité.
Pour le gouvernement, « ne pas généraliser »
Du côté des autorités, le ministre de la Santé avait fait état le 14 avril d’un « décès maternel évitable ». Devant la presse jeudi 28 avril, Abdoulaye Diouf Sarr a appelé à ne pas généraliser. « Dans ce cas de figure, au moment de la prise en charge de la patiente, il n’y avait aucun dysfonctionnement systémique au niveau du point de prestation de santé », a assuré le ministre, qui a mis en avant les progrès réalisés ces dernières années. « Il faut éviter que l’arbre de la non-qualité cache la forêt de la performance », a-t-il martelé.
Sur l’indicateur de la mortalité maternelle au Sénégal, Abdoulaye Diouf Sarr indique que le taux était de 392 décès pour 100 000 naissances vivantes il y a quatre ans, de 236 décès il y a deux ans, et « présentement, nous sommes à environ 156 décès pour 100 000 naissances vivantes. Nous sommes les premiers dans l’UEMOA », a insisté le ministre de la Santé, tout en reconnaissant qu’il restait « des choses à faire ». Des efforts notamment pour atteindre l’objectif de développement durable (ODD) fixé par l’ONU : moins de 70 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes à l’horizon 2030.
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