C’est aussi à sa capacité à transformer les très bons éléments qu’il recrute en d’excellents potentiels successeurs que se mesure la réussite d’un chef d’Etat…
Patrick Achi a finalement été reconduit au poste de Premier ministre, et le président Ouattara, déjouant les pronostics, a nommé Tiemoko Meylet Koné au poste de vice-président. Le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest devient donc le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat ivoirien. Comment comprendre ces choix, censés clarifier le jeu politique, et organiser une éventuelle succession à la tête de l’Etat ?
Ces choix, pour le moins inattendus, pourraient paraître surprenants, aux yeux de ceux qui l’ont attendu et en attendaient davantage qu’un simple réaménagement de l’équipe présidentielle. Un an, pour finalement confirmer l’intérimaire à la primature, et deux ans, pour se rabattre sur la BCEAO, où il a lui-même effectué l’essentiel de sa carrière, juste pour trouver un remplaçant à un vice-président, qui était, lui aussi, déjà un ancien de la BCEAO… On se demande pourquoi avoir risqué, tout ce temps, un vide constitutionnel de fait, pour trouver un profil si prévisible.
Au regard de ce que les plus sévères assimilent déjà à un choix par défaut, certains se demandent si le président ne manque pas sérieusement d’hommes et de femmes à qui confier, en toute sérénité, les clés du palais. Et cette fixation présidentielle sur la BCEAO paraît d’autant plus préoccupante que la Côte d’Ivoire regorge de sujets d’élite, formés dans les plus prestigieuses universités et grandes écoles de la planète, avec une expérience de très haut niveau, dans de grandes institutions et des multinationales.
A quoi tient, alors, l’incapacité à trouver des successeurs valables ?
C’est forcément au président qu’incombe, en premier lieu, la responsabilité de cette impression de pénurie de potentiels successeurs compétents et dignes de confiance. Mais, il a eu beau être solide et brillant, l’obséquiosité qu’entretiennent quelques-uns parmi les plus audibles dans son entourage, agit sur les talents et le génie comme un terrible désherbant. Avez-vous entendu ce proche qui, au sortir du discours présidentiel, a aboyé dans les micros « sa » certitude biblique ? « Là où le président Ouattara met le doigt, la lumière aussitôt jaillit ! », disait-il. En clair, quoi qu’il décide, « ADO » aura toujours raison.
Cerné par des laudateurs aussi obséquieux, le meilleur des dirigeants finit par perdre sa capacité à générer des leaders dignes de la magistrature suprême. Car, dans un tel environnement, les talents se flétrissent et, à force de raser les murs, les plus brillants finissent par perdre leur éclat. On peut être éjecté, pour insuffisance de zèle. Et ceux qui, pour faire carrière, se joignent au concert de louanges n’inspirent pas au président ce sentiment que l’on appelle le respect. En tout cas, pas suffisamment pour qu’il veuille leur céder son fauteuil.
Vous décrivez là de bien tristes réalités !…
Ce n’est, hélas ! pas propre à la seule Côte d’Ivoire. Dans nombre de pays de notre Afrique, l’environnement immédiat des chefs d’Etat est souvent le lieu où se flétrissent les étoiles, lorsqu’elles n’explosent pas. Le nivellement se fait par le bas et les sujets les plus sérieux et les plus solides se retrouvent parfois isolés, coupés de tout contact avec le président, et s’éteignent peu à peu, à force de végéter. Rares sont les courageux qui osent alors démissionner.
C’est lorsque ils ont le plus besoin d’éléments de valeur, à la hauteur des défis majeurs, que les chefs d’Etat s’aperçoivent que les étoiles ont pâli. La réussite d’un chef d’Etat se mesure aussi à sa capacité à transformer les très bons éléments qu’il recrute en d’excellents potentiels successeurs. Mais cela suppose qu’il sache protéger les meilleurs qu’il attire contre les intrigues et les petits enjeux et jeux de pouvoir des sous-chefs, maîtres de la médiocrité, qui font la loi autour de lui.