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ENVIRONNEMENT

Il recycle les eaux usées: le filtre planté prend racine au Sénégal

Le Forum mondial de l’eau se tient jusqu’au 26 mars au Sénégal. Jeudi, la petite entreprise Filtre Plante présentait avec le HCR un projet d’assainissement par phyto-épuration de plusieurs camps de réfugiés au Sahel. Ce procédé écologique est appliqué depuis peu sur la corniche de Dakar où des plants de papyrus se nourrissent des eaux sales pour les rendre à nouveau utilisables. Une première en Afrique de l’Ouest. Suivez le tuyau.

De notre envoyé spécial à Dakar,

Michael Orange disparait derrière les arbres et descend trois mètres en contrebas. On distingue le bruit délicieux d’une cascade dont le lit plonge vers la mer, au pied de la falaise. Mais c’est une mare noirâtre qui apparaît en dessous d’une canalisation : un égout municipal. « Une bonne partie des eaux usées de Dakar se déversent dans la mer. Mes enfants ne se baignent pas à Dakar, c’est clair ! », s’exclame le patron de Filtre Plante, créée en 2020.

Michael Orange a fondé Filtre Plante, une entreprise de phyto-épuration adaptée au contexte climatique et socio-économique ouest-africain.
Michael Orange a fondé Filtre Plante, une entreprise de phyto-épuration adaptée au contexte climatique et socio-économique ouest-africain. © Géraud Bosman-Delzons/RFI

Il montre ensuite une pompe et un tuyau noir qui remonte depuis la mare sur le plateau pour rejoindre un carré d’herbes touffues, du papyrus. Au milieu, un petit jet débite l’eau pompée en contrebas. Dans ce bassin, l’eau ne stagne pas, elle est drainée par une succession de couches de graviers et ressort en-dessous. Sous ce massif végétal, des bactéries effectuent un travail de décomposition naturelle de la matière organique contenue dans l’eau. À l’arrivée, cela nourrit aussi bien la plante que l’eau qui ressort propre et enrichie en nutriments. Elle est toutefois non potable. « Les pathogènes sont éliminés à 99% mais cela suffit pour qu’ils se démultiplient à nouveau », admet Michael Orange. Quant à son utilisation pour l’arrosage d’un jardin potager, elle divise encore les scientifiques. « La réalité, c’est que l’eau qui ressort du filtre planté est bien meilleure que celle utilisée pour le maraîchage au Sénégal », balaye-t-il.

Quoi qu’il en soit, l’eau traitée et récupérée n’est pas tout à fait celle qui a coulé du robinet domestique, le recyclage de l’eau n’est donc pas parfaitement abouti. Autre limite, seule une toute petite partie du débit d’eau est pompée pour le traitement.

Ceci dit, la phyto-épuration présente d’indéniables avantages. C’est d’abord un procédé basique, économe – un peu d’électricité, solaire tant qu’à faire – et écologique. Son développement, en France par exemple, remonte à la fin des années 1990, en particulier dans les systèmes d’assainissement des collectivités locales. Il fait partie de la gamme des solutions fondées sur la nature (SFN), ou de bio-mimétisme, de plus en plus étudiées dans le cadre de la préservation de l’environnement. Rien de révolutionnaire donc, mais c’est une première dans cette région tropicale.

Les tropiques, une latitude idéale pour la phyto-épuration

« C’est la solution parfaite pour les pays du Sud », affirme Michael Orange, qui met d’abord en avant le gain de place réalisé : « Avec la chaleur, les bactéries se multiplient et leur concentration permet une action plus intense sur un plus petit périmètre. En gros, il faut trois fois moins d’espace au sol pour la même quantité d’eau usée [que sous des latitudes européennes, NDLR]. Et l’espace est souvent la contrainte majeure du développement d’un projet phyto. » Dans les écoles par exemple, qui pourraient raccorder leur fosse septique à un bassin de filtres végétaux.

Le climat est aussi un atout, argue encore le promoteur du concept : un projet phyto est fonctionnel toute l’année quand les plantes de meurent pas de froid. Il permet aussi une plus grande variété de plantes. Enfin, le filtre planté ne requiert pas un personnel de maintenance qualifié et nombreux.

Michael Orange en est donc convaincu, « le traitement et la réutilisation des eaux est une partie de la solution au réchauffement climatique » : « Si un village se met à non seulement traiter mais à récupérer les eaux usées, le système serait vertueux : moins de pollution, possibilités de cultiver toute l’année sans attendre la saison des pluies qui ne dure que quatre mois maximum, moindre épuisement des nappes sous la pression démographique… »

Le sauvetage de la Corniche

Enfin, le filtre planté a un volet économique et social tout aussi intéressant. Maha Baalbaki, et fondatrice de l’association Ecolibri, peut en témoigner. C’est même elle qui est venue trouver Michael Orange pour son projet de verdissement de la corniche. Cette portion de falaise, encore vierge de construction, est la propriété coutumière de l’association des pêcheurs de Ouakam qui surveille de près son foncier. « L’idée de planter pour protéger leur site les a tout de suite intéressés. Ce sont des gens de mer et le littoral en fait partie », explique Maha Baalbaki. Beaucoup surtout sont aussi plongeurs et « l’idée de traiter l’eau leur allait bien aussi ».

Mais toute cette verdure boit un bon paquet d’eau : 10 000 euros par an d’eau propre acheminée par camion citerne, selon les comptes de cette cheffe d’entreprise. Pour la même somme, l’ONG a pu investir dans ces deux filtres plantés de 10 m² qui ne génèrent plus aucun frais depuis un an. Un filtre planté de 10 m² offre un potentiel de 1750 litres d’eau recyclée par jour, soit l’arrosage de 350 arbres.

Epurée par les plantes, l’eau reprend donc son circuit. Le tuyau noir serpente d’abord dans une belle parcelle d’espèces endémiques diverses : ici un jeune baobab, là un filao, plus loin un badamier qui voisine un ombragé et un palmier. Le terrain file en pense douce vers le bord de la falaise. Difficile d’imaginer que ce jardin en devenir résistera aux vents et aux embruns salés. En attendant, c’est un ilot rassérénant au milieu du béton.

Le site de la Divinité à Dakar abrite depuis peu ce jardin ouvert à tous et arrosé par de l'eau phyto-épurée.
Le site de la Divinité à Dakar abrite depuis peu ce jardin ouvert à tous et arrosé par de l’eau phyto-épurée. © Géraud Bosman-Delzons/RFI

Quelques mètres encore et l’on entre dans le tolou keur, un potager agro-écologique collectif. Le tuyau irrigue au goutte-à-goutte laitues, betteraves, blettes, qui seront récoltées par les femmes des pêcheurs. Troisième et dernier site visité par le tuyau : la forêt urbaine, inaugurée il y a près d’un an par le ministre de l’Environnement et l’UE, partenaire financier. « 3 000 arbres censés représenter dans 20 ans une forêt de 100 ans car ils capteront 40 fois plus de carbone qu’une forêt de chênes par exemple », dit Maha Baalbaki.

Le filtre planté pour assainir et reverdir les camps de réfugiés

Le filtre planté semble promis à un bel avenir au Sénégal et peut-être au-delà. Deux projets à caractère humanitaire sont déjà bien entamés. Le premier devrait être mis en place à la grande prison du pays, située à Thiès, où les détenus pataugent dans les débordements de leurs sanitaires.

Le deuxième sera expérimenté dans plusieurs camps de réfugiés au Burkina Faso, au Niger et au Tchad. « La gestion des eaux usées est un enjeu critique dans l’ensemble des camps de réfugiés, explique Pierre-Yves Rochat, conseiller Eau, hygiène et assainissement au HCR qui achètera des filtres à Michael Orange. Elles proviennent des latrines et des douches familiales ou communautaires et s’accumulent à l’intérieur de fosses qui nécessitent des services de vidange fréquents et coûteux. » Les débordements génèrent aussi une pollution des sols et des risques pour la santé déjà fragile des exilés. Le filtre planté aura là un double sens : l’assainissement et le reboisement, qui permet, entre autre vertus, de rendre les températures plus supportables.

Les fruits et légumes du tolou keur, création de l'assoctaion Ecolobri de Maha Baalbaki, bénéficient aux femmes des pêcheurs de Ouakam.
Les fruits et légumes du tolou keur, création de l’assoctaion Ecolobri de Maha Baalbaki, bénéficient aux femmes des pêcheurs de Ouakam. © Géraud Bosman-Delzons/RFI

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