Après une décennie à la tête du gouvernement, les islamistes marocains du Parti de la justice et du développement (PJD) ont subi une véritable claque, mercredi 8 septembre aux législatives. Ces élections étaient organisées en même temps que les communales et que les régionales. Entretien avec David Goeury, géographe au laboratoire Médiations de Sorbonne Université et chercheur associé à l’organisation Tafra (la mutation), un centre créé en 2014 à Rabat et qui se donne pour mission d’améliorer la compréhension des citoyens du fonctionnement des institutions publiques.
Propos recueillis par notre envoyée spéciale à Rabat,
RFI : Vous attendiez-vous à cette défaite des islamistes du PJD ?
David Goeury : Il y avait des signes annonciateurs de ce recul. On voyait très clairement que le PJD était en situation difficile, car il avait déjà subi une défaite aux élections syndicales de juin, avec un fort reflux lors des élections qui concernaient les fonctionnaires publics et particulièrement dans leur bastion de l’Éducation nationale. Le PJD était donc en train de perdre son audience au sein de sa base militante.
Ensuite, deuxième déconvenue pour le PJD : sa régression aux élections professionnelles d’août. Les candidats du PJD ont eu le plus faible taux de conversion entre le nombre de candidats et le nombre d’élus dans les chambres de l’artisanat, du commerce, de l’industrie et des services. Donc, le PJD était aussi en train de perdre son électorat urbain.
Et lorsqu’il y a eu les annonces des candidatures pour les élections communales de septembre, le PJD avait perdu 47 % de ses candidats. Alors qu’il avait réussi à mobiliser plus de 16 000 candidats aux élections communales de 2015, là, il en avait perdu plus de 7 600. Donc, des élus PJD et des militants ne se sont pas présentés aux élections communales pour défendre les couleurs du parti.
L’effet cumulé d’une régression de l’audience auprès de son électorat urbain et d’un recul du nombre de candidats suffisants pour se présenter dans les petites villes et les communes rurales annonçait une défaite du PJD.
Mais l’ampleur du vote sanction a-t-il surpris tout le monde ?
Oui, le PJD perd plus de 80 % de ses électeurs par rapport aux législatives de 2016. À l’image de Saad-Eddine el-Othmani (le Premier ministre sortant, NDLR) qui n’a pas réussi à être élu dans la circonscription de Rabat-Océan alors que le PJD y était arrivé en tête en 2016.
Le PJD contrôlait toutes les grandes villes marocaines. Il avait la majorité absolue dans les conseils municipaux. Il semble que les électeurs aient sanctionné un bilan jugé modeste à la tête de ces grandes villes. Et on voit même que les noyaux militants PJD ne se sont pas mobilisés pour défendre le bilan du parti.
Il y avait aussi une critique en interne, extrêmement forte, au sujet du bilan de ces présidents de communes qui cumulaient un siège au Parlement, qui ont été évincés par le PJD lui-même et qui ne se sont pas représentés.
Quels sont les ingrédients de la victoire du RNI, le parti d’Aziz Akhannouch qui a remporté le plus grand nombre de sièges à la Chambre des représentants ?
On voyait très bien que le RNI menait une campagne très intense depuis janvier et qu’il avait réussi à mobiliser très fortement lors des élections professionnelles où il est arrivé largement en tête. En plus de cela, le RNI a réussi à mobiliser plus de 25 000 candidats aux élections communales en couvrant 80 % des circonscriptions, ce qui est exceptionnel au Maroc.
Et il a fait également un très bon score dans les grandes villes. Cela s’explique par une campagne très intense sur les réseaux sociaux, notamment par le financement de mise en avant de contenus. Pour la seule page du RNI (sur Facebook, NDLR), il y a une dépense de 300 000 dollars de mise en avant de contenus.
Cette stratégie s’est révélée payante, parce que dans les grandes villes marocaines, le taux de participation reste particulièrement faible. D’où l’importance de mobiliser de nouveaux électeurs. Et le RNI a ciblé dans sa campagne des électeurs plus jeunes, des femmes.
Il a défendu son programme et son bilan au gouvernement, en particulier la bonne gestion de la crise du Covid-19 par ses ministres. Pour rappel, le CVE, le Conseil de veille économique, a été dirigé par M. Benchaboun et Mou el-Alami était à l’Industrie, des ministères très mobilisés pendant la crise.
Le RNI, en mettant en avant son programme auprès de cet électorat urbain, a réussi à le mobiliser dans un contexte de très forte abstention. Dans les villes, généralement aux élections, sur la population en âge de voter, seulement un électeur sur cinq se déplace. Résultat, le RNI a cumulé deux effets : une très forte campagne dans les communes rurales et les villes moyennes, donc une campagne de terrain, et une campagne sur les réseaux sociaux pour mobiliser l’électoral urbain.
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