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De Poto-Poto à Paris, avec le Congolais Henri Lopes

C’est en publiant en 1971, il y a 50 ans, son premier ouvrage de fiction, Tribaliques, que le Congolais Henri Lopes s’est fait connaître. Récompensé l’année suivante par le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire, ce recueil de nouvelles a permis à l’auteur d’asseoir sa réputation de témoin attentif des heurs et malheurs de l’Afrique des indépendances. Menant de front une double carrière politique et littéraire, Lopes s’est imposé comme un romancier incontournable, auteur d’une œuvre importante, située entre critique sociale et introspection. Premier volet.

Avec à son actif neuf romans, un recueil de nouvelles, des articles, des essais et un volume de mémoires publié récemment, le Congolais Henri Lopes est l’un des plus féconds et des plus brillants représentants du monde littéraire africain. À quatre-vingts ans passés, l’homme fait partie des « monstres sacrés » de la littérature africaine moderne. Couronnée en 1993 par le Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française, son œuvre se caractérise par sa grande cohérence thématique et sa lucidité ardente. Elle est enseignée aujourd’hui dans les écoles et les universités en Afrique comme à travers l’ensemble du monde francophone.

Les débuts de la carrière littéraire d’Henri Lopes remontent aux années 1970, plus précisément à 1971, il y a 50 ans, date de la publication de son premier livre de fiction : Tribaliques. Il s’agissait d’un recueil de nouvelles, paru aux éditions CLE, une petite maison d’édition camerounaise.

La négritude, une idéologie dominante

Le titre du recueil n’est pas anodin. Il renvoie, avec un sens consommé du ludique et de l’ironique, au célèbre volume de poésie de Senghor, intitulé Éthiopiques. Dans l’Afrique indépendante où la négritude était l’idéologie dominante, cette intertextualité était lourde de sens. Il se trouve qu’à l’époque, avec un certain nombre d’intellectuels issus de la génération montante, Henri Lopes militait pour libérer la littérature africaine de l’emprise de cette doctrine identitaire, vécue de plus en plus par les nouvelles générations comme un frein à la création littéraire.

Conçue par Senghor et Césaire comme un outil d’affirmation des valeurs civilisationnelles du monde noir face aux colonisateurs occidentaux, la négritude a été un moment déterminant du siècle écoulé. Or, l’indépendance venue, elle était devenue au fil des années une idéologie essentialiste dans laquelle la jeunesse avait du mal à se reconnaître. Les auteurs montants prennent alors leur distance par rapport à cette pensée doctrinaire, comme le fait Lopes dès son premier livre. Loin d’être la célébration de la tribu et de l’ethnie, qui sont valorisées positivement par les poètes de la négritude, les huit nouvelles de Tribaliques dénoncent la montée du tribalisme dans l’Afrique des indépendances, ainsi qu’un certain nombre d’autres maux.

Chemin de Damas

Paradoxalement, lorsqu’il cherchait sa voie dans sa prime jeunesse, c’est sa découverte de l’œuvre de Senghor qui avait poussé le jeune Henri Lopes à s’engager sur le chemin de l’écriture littéraire, comme l’intéressé l’a souvent raconté. « La chose qui a été un déclic, ça a été la lecture de L’Anthologie de la poésie nègre et malgache de Senghor. J’avais une formation européenne, française. Ma tête était bourrée d’auteurs, de références essentiellement françaises ou européennes, et je découvre un livre écrit par des Noirs. Et c’est beau et ça tient la route, comme on le dirait de manière un peu triviale. Et alors, je me dis, au fond, nous pouvons écrire, je peux écrire. Il y a des choses que j’ai à dire qui n’ont pas été dites. Cela a donc été mon premier chemin de Damas. »

Né en 1937 à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, mais citoyen du Congo-Brazzaville, Henri Lopes a fait ses études en France, d’abord à Nantes, puis à Paris. Il était étudiant à la Sorbonne dans les années 1950, quand Paris était devenue la capitale du monde noir francophone en pleine effervescence, dans l’attente des indépendances. Le jeune Lopes était alors proche du Parti communiste français et militait au sein de la très active Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (F.E.A.N.F.).

« C’était une époque merveilleuse, se souvient l’écrivain. D’abord, parce qu’on se connaissait presque tous. Nous voulions rebâtir le monde et la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France a été le creuset dans lequel nous nous sommes retrouvés, où nous avons milité. J’étais marxiste, je le suis devenu en France. C’est que la France d’après la guerre n’a rien à voir avec la France d’aujourd’hui. C’est une France où les communistes ont joué un grand rôle dans la résistance contre le nazisme et l’intelligentsia française est à –  je dis un chiffre au hasard, mais qui n’est pas loin de la réalité – 80% formée de communistes ou de compagnons de communistes. Aragon est communiste, Éluard est communiste, Picasso est communiste, Léger est communiste, les Joliot-Curie sont communistes. Par ailleurs, les communistes étaient le seul parti à l’époque où nous ne trouvions pas de racisme. Il était alors normal que les jeunes Africains qui souhaitaient l’indépendance de leur pays se dirigent vers cette idéologie-là. »

En 1965, ses diplômes universitaires en poche, Henri Lopes revient dans son pays, désormais indépendant. Il obtient un poste de professeur d’histoire à l’École Normale d’Afrique. C’est un jeune trentenaire, tout feu tout flamme, qui veut « faire la révolution ». Il a surtout conscience de ne pas bien connaître son pays qu’il avait quitté à l’âge de 11 ans. Il passe rapidement de l’enseignement à la politique. Coopté par le régime marxiste qui a pris le pouvoir à Brazzaville en 1969, il exerce des fonctions ministérielles jusqu’à devenir Premier ministre du président Marien Ngouabi, entre 1973 et 1975, puis ministre des Finances. Au début des années 1980, il rejoint les rangs de l’Unesco à Paris, en tant que directeur adjoint de cette organisation. Après sa retraite de l’Unesco en 1998, il est nommé ambassadeur de son pays en France et auprès de l’Union européenne, un poste qu’il ne quittera qu’en 2015.

Tout au long de cette vie professionnelle particulièrement active, riche en responsabilités et distinctions, Henri Lopes a mené une double carrière, littéraire et politique. Tout naturellement, il puise le matériau de ses romans dans sa vaste expérience politique. Le résultat est souvent heureux, comme en témoigne l’incontournable Le Pleurer-rire, le troisième roman de Lopes, paru en 1982 et considéré par les critiques comme son roman le plus réussi.

Ce roman est une satire féroce de la dictature en Afrique, raconté à travers le récit pittoresque de la vie et des mœurs du personnage central du Tonton Hannibal-Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé. Le nom du personnage est tout un programme, suggérant la domination politique ainsi que la domination sexuelle. Ancien baroudeur de la Coloniale devenu président de son pays à la faveur d’un coup d’État, l’homme exerce sur son peuple une dictature atroce. Ses modèles ont pour noms Bokassa, Idi Amin Dada, Mobutu et autres Eyadéma qui avaient pris le pouvoir à travers le continent dans les années qui ont suivi les indépendances.

Si c’est la problématique du pouvoir qui est le véritable thème de ce roman, son intérêt majeur réside dans sa rupture avec les conventions de la fiction réaliste classique. Le Pleurer-rire fonde son originalité sur sa structure polyphonique, permettant de faire entendre toutes les voix, celles du pouvoir tout comme celles des contre-pouvoirs. Adieu aussi au récit linéaire et à la narration omnisciente et unique. Ce roman marque assurément une rupture dans la production littéraire de son auteur. « Je voulais faire une littérature engagée et je me suis aperçue qu’une bonne littérature n’est pas engagée, explique Lopes. C’est l’auteur qui peut être engagé. La littérature, il faut qu’elle soit engageante. À partir de là, j’essaie d’être engageant. »

Dans la suite du Pleurer-rire, la narration politique et militante laisse la place à une veine plus intimiste, avec des romans au titre souvent plus baroque que réaliste. Ils s’appellent Le Chercheur d’Afriques (1990), Le Lys et le flamboyant (1997) ou encore Une enfant de Poto-Poto (2012), pour ne citer que ces quelques livres. Selon l’universitaire Lydie Moudileno, ces romans du nouveau cycle mettent en scène « les retrouvailles impossibles entre un homme et son histoire ». Ils racontent surtout la plaie jamais refermée du métissage, comme on le verra la semaine prochaine dans le deuxième volet de cette chronique consacrée à Henri Lopes, le conteur hors pair du Congo et du monde.

► Bibliographie:

– Tribaliques, nouvelles (1971)

– La Nouvelle Romance, roman (1976)

– Sans tam-tam, roman (1977)

– Le Pleurer-rire, roman (1982)

– Le Chercheur d’Afriques, roman (1990)

– Sur l’autre rive, roman (1992)

– Le Lys et le Flamboyant, roman (1997)

– Dossier classé, roman (2002)

– Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois, essai (2003)

– Une enfant de Poto-Poto, roman (2012)

– Le Méridional, roman (2015)

– Il est déjà demain, mémoires (2018)

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