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Éthiopie: «Nous devons empêcher une tragédie humanitaire colossale»

Le secrétaire général adjoint des Nations unies aux Affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence depuis 2017, quitte son poste de l’ONU. L’occasion de faire un point avec lui sur les dossiers humanitaires du continent africain, et en particulier, sur le Tigré. La semaine dernière, les membres du Conseil de séccurité ont échoué à se mettre d’accord cette semaine sur la tenue d’une réunion sur le sujet. Mark Lowcock répond aux questions de Carrie Nooten.

RFI : la situation au Tigré est vraiment très inquiétante. Des infrastructures agricoles ont été détruites à Mekoui, vous avez prévenu que 91% de la population était en besoin d’aide alimentaire… 

Mark Lowcock : la situation est alarmante, c’est la pire situation d’insécurité alimentaire que j’ai vue depuis plusieurs années. Certainement la pire depuis que cette famine terrible a coûté la vie de 250 000 Somaliens, il y a dix ans. Des centaines de milliers de gens dans le nord de l’Éthiopie vivent, selon moi, dans des conditions de famine. Nous cherchons de l’aide désespérément pour ces gens. Nous avons besoin de trois choses : d’abord, une réduction significative des hostilités et l’arrêt des blocages des agences des Nations unies, que ce soient les checkpoints ou autres. Deuxièmement, bien plus de travailleurs humanitaires, car le gouvernement n’a pas un contrôle total sur le Tigré, il y a des endroits où le gouvernement n’est plus là alors que les gens ont besoin d’aide. Il y a un vrai besoin de personnel international, là. Et troisièmement, on a besoin de bien plus d’argent. On aurait besoin de 850 millions de dollars pour éviter une tragédie cette année au Tigré. La moitié a été promise, mais rien n’a été versé encore.

Comment la communauté internationale pourrait-elle faire plus de choses, comment aimeriez vous voir le Conseil de sécurité agir ?

En 2018, le Conseil de sécurité a passé une résolution nous demandant à moi et au secrétaire général de lui envoyer une note à chaque fois que nous penserions qu’un conflit pourrait amener à une situation d’insécurité alimentaire ou à la famine. Il y a deux semaines, nous avons envoyé cette note du Tigré aux membres du Conseil. Parce que la situation était complètement bloquée. C’est la quatrième fois que nous faisons ça. Jusqu’ici, à chaque fois ils s’étaient réunis, mais pas cette fois-ci.  Ce qu’ils pourraient faire, c’est appeler à la cessation des hostilités, à un accès plus facile aux agences d’aides, encourager les levées de fonds, et donner plus de place aux travailleurs humanitaires ; les gens seront obligés de les écouter, c’est le Conseil !

Cela nous ramène à des années très sombres de l’Éthiopie ; qu’est ce qui est en jeu pour le pays ?  

Dans le cadre de mon premier travail au milieu des années 80, j’ai été amené à devoir intervenir sur la famine qui a tué plus d’un million de personnes. Je n’ai jamais oublié certaines des choses que j’ai vues à ce moment là. Ce n’est pas irrationnel de s’inquiéter que cela se répète. Tout ce que nous devons faire, c’est d’empêcher une tragédie colossale, parce que c’est une crise humanitaire qui aura des conséquences sur le Tigré, mais sur tout le pays et l’ensemble de la région aussi – et pour longtemps.

Est-ce que vous trouvez que les alertes données par les Nations unies, l’aide d’urgence, sont déployées assez rapidement ? Est-ce que vous voyez de nouvelles pistes pour pouvoir réagir de façon plus efficace ? 

Oui, généralement, plus vite on sonne l’alarme, meilleures seront les réactions. On agite la sonnette d’alarme depuis six mois maintenant, avec ce qui arrive au Tigré, mais rien n’a été fait de façon suffisante. Et c’est pourquoi nous sommes aujourd’hui dans une situation extrêmement critique ; je n’avais jamais vu cela auparavant et je ne pense même pas que nous ayons connu une telle situation ces dix dernières années.

Mark Lowcock, vous allez quitter votre rôle aux Nations unies dans deux semaines. Depuis le début de cette interview, on parle des mêmes problèmes que vous rencontrez dans chaque zone humanitaire. Que ressentez-vous ? Quittez-vous votre poste avec l’impression du travail bien fait ?

Vous avez raison, durant mes années à l’ONU, le besoin d’aide humanitaire n’a fait que croître, surtout au Moyen Orient et en Afrique… c’est essentiellement parce que les causes des problèmes humanitaires, les conflits, le changement climatique et maintenant le Covid-19, n’ont pas été traitées correctement. On ne fait que de traiter les symptômes… Mais la bonne nouvelle, qui devrait réjouir tout le monde, c’est qu’on arrive encore à contenir la plupart de ces problèmes. On n’a pas eu de famine hors norme, qui aurait causé la mort de centaines de milliers ou de millions de gens comme cela aurait pu être le cas il y a 10, 15 ou 20 ans ! Il faut continuer à les contenir – les agences humanitaires répondent aux besoins de 100 millions de personnes chaque année. Pourtant ça ne cesse d’empirer. Mon message principal aux décideurs, c’est vraiment « Attaquez-vous aux causes », pas aux symptômes.

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