LE JOURNAL.AFRICA
Analyse

Les circuits flous de l’orpaillage au Sahara et au Sahel (2)

Entre illégalité et légalité, regard sur les circuits flous de l’orpaillage depuis l’Afrique jusqu'à la place marchande de Dubaï. Deuxième entretien de notre série en deux volets sur l'or artisanal au Sahel et au Sahara, avec la chercheuse Raphaëlle Chevrillon-Guibert. 

Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chercheuse à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) coauteur avec Enrico Ille et Mohamed Salah de « Pratiques de pouvoir, conflits miniers et économie de l’or au Soudan durant le régime d’al-Inqaz », Politique africaine 2020/2, n°158 et avec Géraud Magrin et Laurent Gagnol de « Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel. Ferment de crise ou stabilisateur ? », Hérodote, 2019/1, n°172 RFI : Raphaëlle Chevrillon-Guibert, l’orpaillage qui continue de se développer au Sahara et au Sahel depuis le début des années 2000 a dû trouver des solutions pour fonctionner et pour écouler sa production. Comment les exploitations d’or artisanal se sont organisées dans ces régions souvent en grande difficulté ? Raphaëlle Chevrillon-Guibert : A partir des années 2000, les cours de l'or se sont envolés et il est devenu rentable pour tout un chacun de partir avec peu de moyens dans le Sahara chercher de l'or. De véritables  ruées vers l’or ont alors touché de nombreux pays de la bande sahélienne et ces pays n’étaient pas préparés à ce type de phénomène que ce soit pour gérer localement les afflux importants et  soudains de personnes mais aussi dans la durée pour organiser cette activité économique en plein essor. Je me souviens notamment d’un village de 2 500 habitants dans le centre du Tchad, sur les bords du lac Fitri, à la fin de l’année 2015, où la population est passée en quelques jours à 40 000 personnes parce que des individus y avaient trouvé quelques grammes d’or et que l’information avait rapidement circulé via les réseaux sociaux provoquant en à peine une semaine une véritable ruée. Partout au Sahara et au Sahel, dès que ces nouvelles exploitations ont fait surgir de l’or, elles ont dû trouver rapidement des débouchés pour leur production, dans des contextes difficiles où les législations étaient pour la plupart orientées quasi exclusivement vers le secteur minier industriel et largement flottantes pour le secteur artisanal, à la différence d’autres pays d’Afrique subsaharienne comme le Congo ou les pays d’Afrique de l’Ouest qui connaissaient une pratique ancienne de l’orpaillage avec un encadrement associé. Même si des réseaux de commerce et des comptoirs d’or existaient dans certains pays, l’ampleur du phénomène a révélé des situations nouvelles. Par exemple au Soudan, on avait un marché de l'or dans la capitale qui était un marché concernant principalement les bijoux et non un marché pour de l’or brut extrait de la terre, mais cela a créé des opportunités, non seulement pour des d’acteurs privés (orpailleurs, commerçants, investisseurs, etc.) mais aussi pour les acteurs publics (États collectivités territoriales) qui ont cherché à bénéficier de cette nouvelle manne par différents moyens (encadrement et taxation, monopole commercial, etc.). L’essor de ce nouveau secteur, peu encadré et très lucratif, a également constitué une opportunité pour des acteurs « illégaux » de la région (groupes armés notamment mais aussi certains segments des appareils étatiques de régimes bien souvent autoritaires). La connaissance et la maîtrise des filières marchandes nécessaires à l’écoulement du minerai sur le marché mondial se sont très vite révélées comme l’un des principaux nœuds de pouvoir de ce nouveau secteur, constituant dès lors un enjeu crucial pour les États que ce soit pour les questions de contrôle ou de lutte contre les financements illégaux, mais aussi pour celles relatives à la taxation de cette activité lucrative. Si vous regardez mondialement les circuits de l’or qui concernent le continent africain, les grandes places marchandes sont la Suisse et les Émirats arabes unis. Ce que l’on observe, c’est qu’une grosse partie de l’or provenant de la zone sahélienne et saharienne est désormais drainée vers Dubaï, où cet or de multiples provenances se fond dans le marché légal. Les frontières entre les circuits légaux et illégaux sont, sur cette région et cette activité, parfois difficiles à discerner. Qui contrôle cette rente ? Face à cette nouvelle rente dans des régions souvent très pauvres, les appétits sont multiples. Il y a bien sûr les acteurs publics qui espèrent bénéficier de l’activité ainsi que tous les acteurs privés participant au processus, de l’extraction jusqu’à la commercialisation, mais également, nous l’avons mentionné, des acteurs installés dans les zones d’extraction ou contrôlant les routes commerciales ou encore des nœuds de passage dans la chaine économique (autorisations d’exportation par exemple). Pour se faire une idée de la façon dont les choses sont contrôlées, il faut dans un premier temps revenir un peu à la technique. Initialement, l’orpaillage dans la zone sahélo-saharienne a débuté avec des détecteurs de métaux c’est-à-dire selon une technique supposant une très grande mobilité des orpailleurs. Pour travailler, il était donc nécessaire de disposer d’un ou de plusieurs appareils, de quelques pelles et pioches, d’une voiture et de quoi nourrir une équipe d’orpailleurs pendant plusieurs jours. C’est �...   

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