Il est l’une des figures religieuses centrafricaines. Le cardinal Nzapalainga, archevêque de Bangui raconte dans un livre qui vient de sortir son parcours et son engagement pour la paix dans son pays. L’occasion d’évoquer avec lui la situation en Centrafrique. Quel diagnostic fait-il des relations entre communautés ? Quel regard porte-t-il sur le «dialogue républicain» à venir ? Comment réagit-il aux informations sur les exactions commises par les mercenaires russes dans le pays ? Le cardinal Dieudonné Nzapalainga répond aux questions de Laurent Correau.
RFI : Dans l’ouvrage que vous venez de publier, vous racontez plusieurs pages de votre vie et notamment tous les efforts que vous avez réalisés à partir de 2013 avec vos alter ego des communautés musulmanes et protestantes, pour essayer de calmer les tensions intercommunautaires. Où en est la Centrafrique, aujourd’hui ? Est-ce que cette période de tension intercommunautaire est finie ?
Dieudonné Nzapalainga : Je peux dire que la tension a baissé. Aujourd’hui, si vous demandez aux gens : « Est-ce qu’il y a la guerre entre les musulmans et les chrétiens ? », ils vont vous dire : « Non, il n’y a pas la guerre entre nous ». Parce que, dans le Coran, comme dans la Bible, il n’est pas permis de tuer. Il n’est pas permis de violer. Il n’est pas permis de détruire, ni d’incendier. Ceux qui ont fait cela sont en dehors de nos livres sacrés et je vois que, petit à petit, les gens ont compris. D’ailleurs, pour la petite histoire, quand il y a eu la dernière tentative pour aller prendre le pouvoir de Bangui, les deux groupes que l’on a appelés anti-balaka et Seleka se sont mis ensemble pour pouvoir marcher.
Ce qui montre bien qu’il ne s’agissait pas d’une guerre confessionnelle…
Voilà.
Est-ce que les populations musulmanes qui avaient fui le pays dans l’ouest ou dans le quartier du kilomètre 5, à Bangui, sont revenues, maintenant ?
J’ai vu beaucoup de populations revenir. Aujourd’hui, j’assiste à des scènes de fraternisation, des scènes d’amitié, où, pendant le ramadan, les gens vont à la rencontre de leurs frères et sœurs. Il y a une mutation qui s’opère dans la tête des gens. Cela veut dire que les gens, petit à petit, tournent cette page.
Quel est le facteur de tensions qui vous préoccupe le plus aujourd’hui en Centrafrique ?
Aujourd’hui, nous pensons que les armes qui circulent beaucoup entre les mains des uns et des autres, sont des facteurs de tension. Facteur aussi de peur, qui paralyse la pauvre maman qui ne peut pas aller au champ, parce qu’elle a peur de trouver quelqu’un armé… Elle ne pourra pas cultiver, comment va-t-elle vivre ? Le pauvre commerçant qui ne peut pas circuler, parce qu’il a peur qu’on l’arrête à dix-quinze kilomètres pour prendre tous ses biens… On ne peut pas avoir de sucre, on ne peut pas avoir de savon… C’est la vie quotidienne qui est paralysée. Et nous ne voulons pas de cela, voilà pourquoi nous interpelons les uns et les autres. Nous devons mettre fin à la circulation des armes et prendre d’autres options.
Le 18 mars dernier, le président Faustin-Archange Touadéra a annoncé un dialogue républicain. Quelle place l’Église peut-elle jouer dans ce dialogue républicain ?
En perspective de ce dialogue, le président a eu l’amabilité de convier beaucoup de sensibilités. L’Église catholique s’est réunie, a préparé un texte. La vision de l’Église est que, quand on part à un dialogue, on n’a pas de position figée, on part pour négocier, on part pour chercher à préserver des vies. On part, maintenant, pour cohabiter ensemble.
Est-ce que, selon vous, la rébellion doit ou ne doit pas être associée à ce dialogue républicain ?
D’après ce que j’ai entendu, on a fait la part entre ceux qui ont pris des armes et ceux qui n’ont pas pris d’armes. Le format de ce dialogue est construit par ceux qui ont l’autorité. Je suis une sensibilité parmi tant d’autres mais je demande que l’on puisse élargir ce dialogue au plus de gens possibles, pour qu’on puisse les écouter et les prendre en compte. Plus nous aurons de gens frustrés, éparpillés, qui seront en brousse, plus nous aurons de gens sauvages et éventuellement des dangers.
Donc pour vous, il faut trouver un mode d’association de ces hommes en armes au dialogue républicain ?
Les moyens, ce sont ceux qui sont à la tête du pays qui doivent les voir. Mais j’alerte et je présente la situation, en disant : tous ceux qui partent avec armes et bagages, il ne faudrait pas que nous les laissions partir comme cela… Il faut qu’il y ait des gens qui leur parlent. Il y a plusieurs niveaux. Ce n’est pas seulement ce dialogue républicain qui est le lieu magique pour régler les problèmes. Il y a des lieux que l’on appelle les lieux de dialogue républicain informels. Je crois beaucoup à cela et je demande que des religieux et des gens qui sont dans le social se lèvent pour engager ce dialogue informel. Vous avez vos frères qui sont dans CPC, qui sont dans la brousse… Ayez le courage d’aller leur parler. Écoutez-les. Revenez pour en parler avec le préfet, avec les gens, pour voir comment faire pour que ces personnes trouvent leur place. Parce que c’est dans le quotidien que l’on doit avoir ce dialogue. C’est sur le long terme.
RFI a publié il y a quelques jours une enquête fouillée sur l’attitude des mercenaires russes déployés en Centrafrique. Est-ce que vous avez été saisi de faits similaires ? Est-ce que vous êtes préoccupé par l’attitude des mercenaires russes en République centrafricaine ?
J’ai entendu, j’ai lu aussi… Comme vous le savez, il s’agit d’allégations c’est-à-dire d’une enquête. Et vous-même, vous savez qu’il y a une contre-enquête qui est en cours. Nous sommes, en tant qu’Église, pour la préservation de la vie. Et s’il arrive quelque chose, et bien nous devons aussi regarder, pour dire : « Non, on n’a pas le droit de tuer, de violer, ni de voler ou de faire quoi que ce soit ». Donc nous attendons que cette enquête puisse se faire de manière sereine et quand on aura les résultats, on pourra se prononcer.