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«Dieu Gou, le retour d’une statue» ou comment sortir d’un débat de spécialistes?

Lorsqu’on regarde l’histoire de l’exploitation coloniale, on oublie souvent la spoliation des œuvres d’art. « Dieu Gou, le retour d’une statue », le documentaire de Laurent Védrine, programmé au Festival Vues d’Afriques au Canada, se concentre sur une pièce unique, la sculpture du dieu Gou, chef-d’œuvre de l’art africain, côté symbolique « comparable à l’armure de Jeanne d’Arc », et qui ne fait pas partie des 26 pièces que la France va restituer au Bénin. Autrement dit : même par rapport au Bénin, la France accuse un très grand retard.

Lorsque votre enquête, du Pavillon des Cessions du Louvre où se trouve actuellement cette statue du dieu Gou jadis admiré par Picasso et Apollinaire, jusqu’au Bénin, avez-vous rencontré des difficultés de recueillir la parole ?

Laurent Védrine : Nous n’avons rencontré aucune difficulté au Bénin. Les gens ont déjà des avis différents. Il y a l’avis du gouvernement, l’avis des militants, l’avis des historiens, l’avis des gens qui sont directement concernés par leur histoire familiale ou par l’histoire de leur groupe social. En France, on nous a refusé un entretien au ministère de la Culture ainsi qu’au musée du Quai Branly. Ils n’ont pas souhaité s’exprimer sur la question.

Felwine Sarr, avec Bénédicte Svaoy l’un des deux auteurs du rapport sur la restitution, parle de la spoliation des œuvres d’art pendant la colonisation comme « une entreprise systématique de vol spirituel » « pour empêcher de se reconstruire ». Ces mots quel effet ont-ils eu sur l’urgence de la restitution des œuvres ?

Cela n’a absolument pas accéléré les choses. Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy a été considéré par le gouvernement et le milieu muséal comme très radical et militant. Je ne pense pas que cela ait accéléré les choses. Par contre, c’est un point de vue très tranché et très assumé par Felwine Sarr et par certains historiens ou Africains. Mon point de vue à moi, c’est qu’il n’y a pas toujours eu l’intention de « castrer » symboliquement ces sociétés et de prendre des objets repères, mais certains entre eux le sont. Même dans l’histoire européenne, il y a des faits comme cela. Quand Napoléon a pris des objets en Italie, quand les Byzantins ont pris des objets en Grèce et réciproquement, on prenait des objets symboliques, des emblèmes. Dans ces cas-là, il y a véritablement l’idée d’empêcher ces sociétés de se réunir autour de certains emblèmes. D’ailleurs, les manuels militaires du XIXe siècle recommandent aux vainqueurs de se saisir de ces emblèmes, comme on s’est saisi des armes de l’adversaire.

Selon vous, est-ce que le président Emmanuel Macron va pouvoir tenir sa promesse de restituer en espace de cinq ans les œuvres d’art aux pays africains ?

Non, je ne crois pas qu’il pourra tenir sa promesse, parce qu’on approche bientôt les cinq ans. D’autre part, sa promesse est subtile. Il a demandé à ce que les conditions soient réunies pour que des restitutions commencent. Là, même les conditions ne sont pas réunies. Actuellement, la France n’a pas voté de loi générale sur le patrimoine issu de l’époque coloniale. Il y a uniquement des lois ad hoc sur certains objets. Il y a toujours des freins très importants au centre de l’administration et au sein du personnel spécialisé dans le monde de la culture. Et il y a même toujours un débat social. Donc, je ne pense pas qu’en 2022 qu’il puisse montrer que cette promesse a été entièrement remplie, loin de là.

Votre film a été diffusé en avant-première au Festival Vues d’Afrique, au Canada, quand y aura-t-il la première en France et qu’attendez-vous comme réaction du public ?

La diffusion est prévue le 25 avril sur la chaîne France 5, à 22h40. Ce que j’attends, c’est que cette question sorte d’un débat de spécialistes et que les citoyens français, quelles que soient leurs origines, qu’ils soient ou pas issus des diasporas africaines, soient informés de ce débat qui se déroule. Mon intention est que les musées d’ethnographie et les musées d’art en France reflètent l’évolution de nos sociétés et qu’on puisse dialoguer et mieux connaître nos histoires. Que ce ne soit pas uniquement des coffres forts où l’on montre des choses qui rappellent une forme d’impérialisme. Ça serait dommage, parce que la France a évolué. Je souhaite également montrer ce film au musée du Quai Branly si la nouvelle direction m’y invite. J’aimerais beaucoup. Cela serait symbolique. Cela serait beau.

► À lire aussi : Emmanuel Kasarherou – Restitution d’œuvres: «Je suis frappé par l’ambition et le sérieux du Bénin dans cette affaire»

 

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