Le procès de deux chefs présumés anti-balakas s’est ouvert mardi 16 février devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Le début d’un procès qui a été suivi en direct dans les locaux de la nouvelle cour de justice en Centrafrique par un public restreint, Covid-19 oblige. Parmi les personnes qui sont venues, des représentants de la société civile et des victimes.
Avec notre correspondante à Bangui, Charlotte Cosset
« Pour moi, c’est un ouf ! » Rolin Sipathis fait partie d’une organisation de la société civile. Le début de ce procès est un soulagement pour lui. « Dans le passé, ils ont commis des crimes, rappelle-t-il. À l’époque, ils se croyaient des puissants, des intouchables. Aujourd’hui, ils se présentent devant la cour pour répondre de leurs actes. »
Dans la salle, les mots raisonnent depuis La Haye. Alfred Yekatom Rhombot et Patrice-Édouard Ngaïssona prennent la parole. « M. le président, je ne reconnais les accusations portées contre moi, je suis non coupable. » Les deux accusés plaident non coupable. Sur les bancs de bois, dans l’assistance, certains secouent la tête.
« Ca fait mal. Ils devraient plaider coupables pour tout ce qu’ils ont commis, pour tout ce qu’ils ont fait à la population centrafricaine », dit calmement cet homme. « Oui, je suis un peu frustrée parce que j’ai été victime de violences sexuelles par des éléments d’Ngaïssona. Quand il a dit qu’il était non coupable, cela m’a frustrée et énervée. Cela fait vraiment mal », confie pour sa part Euphrasie Yandocka. C’est le début d’un long procès et les victimes en sont conscientes. Mais c’est aussi pour elles le début de la reconnaissance de leurs souffrances.
1400 victimes
Dans le box, à bonne distance l’un de l’autre, Alfred Yekatom et Patrice-Édouard Ngaïssona écoutent, masque sur le nez, la longue déclaration liminaire du parquet. La première journée, ce mardi 16 février, a donné lieu à la lecture des charges, 32 chefs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre l’ancien ministre Ngaïssona, 21 contre l’ex-député « Rambo » Yekatom. Ils sont jugés conjointement pour un « cycle de violences » entamé en décembre 2013 et qui les a amenés, selon l’accusation, à articuler leurs actions pour ordonner ou commettre une litanie d’exactions jusqu’en août 2014.
Durant plusieurs heures, cinq membres du bureau de la procureure Fatou Bensouda se succèdent pour présenter ce qui, selon eux, prouve l’implication des accusés dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité : des photos, des vidéos, des cartes, des témoignages… 6000 éléments en 150 témoins qui seront détaillés à la Cour en mars prochain.
Ils dressent le portrait de deux hommes qui articulent leurs qualités : Alfred Yekatom, l’ancien caporal-chef des Forces armées centrafricaines devenu colonel anti-balaka, mène les actions sur le terrain. Meurtres, tortures, déplacements forcés de population, enrôlement d’enfants soldats, attaques de lieux de culte… Il vise en priorité les musulmans, jugés complices de leurs ennemis de la Séléka.
Patrice-Edouard Ngaïssona, l’ancien ministre, homme d’affaires riche et influent, structure, finance, arme, donne des ordres. Il va à l’étranger, au Cameroun, en France, rencontre l’ancien président Bozizé, dont le nom est plusieurs fois cité. Il partage son objectif de reprendre le pouvoir. Les anti-balakas sont leurs soldats, les violences, une conséquence de la « révolution populaire », se défendra-t-il fin 2014, assurant avoir tout fait pour les limiter.
Le bureau du procureur reprendra sa déclaration ce 17 février au matin. Suivront ensuite les avocats des plus de 1400 victimes répertoriées par la cour. La première phase de ce procès dure jusqu’à jeudi.