La crise sanitaire n’est pas encore derrière nous et il y a même une recrudescence dans plusieurs pays africains qui inquiète et provoque le retour à des mesures exceptionnelles comme les couvre-feux. Mais au-delà des pertes en vies humaines et de l’impact économique et social immédiat de la pandémie sur le continent qui est très sévère, vous estimez à WATHI qu’il faut déjà tirer des leçons de cette crise pour repenser les politiques économiques en Afrique. Vous venez de publier un document sur cette question.
En effet. Il n’y a aucun doute sur la gravité des conséquences de la crise sanitaire sur la vie de millions d’Africains. Derrière les pertes brutales d’emplois, de revenus, des opportunités d’éducation perdues, ce sont des millions d’enfants, de femmes et d’hommes dans les pays africains qui ont vu leurs conditions de vie au quotidien se dégrader depuis plusieurs mois. Mais à court terme, personne n’a de recette pour faire des miracles sur le plan économique, pour relancer notamment les secteurs les plus sévèrement touchés et limiter les pertes d’emplois.
Par contre, la crise sanitaire doit être aussi une opportunité pour faire enfin ce qu’on n’a jusque-là fait que très timidement et avec peu de conviction : concentrer notre attention, nos réflexions et nos actions sur l’économie réelle, les hommes et femmes qui en sont les acteurs dans tous les secteurs d’activité, et les hommes et les femmes qui survivent avec le minimum, sont à la marge des activités économiques et dont on se prive du potentiel productif et créatif.
Le document que nous avons publié, que nous appelons Mataki dans le jargon de WATHI, un terme haoussa signifiant « mesures », appelle à des politiques publiques visant à stimulation de la production locale, en assumant le choix d’une priorité au soutien des secteurs qui disposent du potentiel de création d’emplois le plus important pour les populations non ou peu qualifiées qui sont majoritaires. Nous devons aussi assumer le choix de donner priorité à la relance des économies locales dans les régions les plus défavorisées de nos pays.
Vous proposez en fait une approche plutôt politique des choix économiques à effectuer dans les pays africains en mettant l’accent sur les inégalités…
Tout à fait. Une de nos recommandations est de « créer des espaces de débats citoyens sur les politiques agricoles, les politiques de développement rural et les inégalités économiques entre les territoires de manière à sensibiliser davantage les populations urbaines aux réalités économiques et sociales des populations rurales et au besoin de rééquilibrage des investissements publics en faveur des régions les plus défavorisées. »
Cela revient à dire à mettre clairement sur la table la question de la redistribution non pas d’ailleurs des richesses mais des opportunités dans des pays où les zones rurales ont été privées pendant des décennies des investissements les plus basiques pour donner aux enfants qui y naissent une petite chance de développer leur potentiel créatif, productif, pour eux-mêmes et pour la société.
Le rééquilibrage des investissements publics en faveur des régions les plus démunies qui sont parfois celles qui nourrissent pourtant les villes est non seulement une exigence morale mais également une exigence économique et politique. Lorsqu’on connaît la situation d’insécurité et de tensions au Sahel et au-delà aujourd’hui, on ne peut pas ne pas considérer que les politiques économiques doivent avoir aussi comme objectifs prioritaires explicites la création d’emplois pour les jeunes et la correction des inégalités extrêmes entre les territoires.
Donner la priorité aux équilibres et pas forcément à la maximisation de la croissance économique dites-vous…
Oui, une des leçons de la crise de Covid-19, cette fois pour toute l’humanité, c’est bien que nos choix doivent contribuer à maintenir tous les équilibres essentiels dans nos vies individuelles, dans nos sociétés. Donner la priorité aux équilibres, cela revient aussi à soumettre les orientations économiques aux objectifs fondamentaux de nos sociétés : la paix, l’harmonie, la sécurité, une vie décente pour tous. C’est une autre manière de dire que les choix économiques sont d’abord des choix de société, donc des choix politiques.
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Sur le site de WATHI, retrouvez le document Mataki sur les leçons de la Covid-19 pour les économies d’Afrique de l’Ouest : https://www.wathi.org/publications/