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ARTCULTURE

Yemi Alade, l’heure du sacre ?

Figure majeure de la scène nigériane qui irradie auprès de la jeunesse du continent, la trentenaire Yemi Alade poursuit l’entreprise de décloisonnement de l’afrobeat sur Empress, son cinquième album en six ans avec la participation entre autres de Dadju et Vegedream. À travers ses choix autant intelligents que stratégiques, la chanteuse confirme et consolide son statut, tant en termes artistiques que de qualité de production.

Le vocabulaire employé par Yemi Alade pour intituler ses albums successifs en dit long sur ses intentions comme sur sa personnalité : celle qui s’était couronnée King of Queens (« Roi des Reines », NDR) pour ses débuts discographiques en 2014 était devenue Woman of Steel (« Femme d’acier ») cinq ans et trois albums plus tard, avant d’endosser désormais en toute humilité le costume d’Empress (« Impératrice »).

S’il lui sera difficile à l’avenir de s’attribuer un titre plus élevé, ces autoconsécrations ont une saveur qui rappelle évidemment l’egotrip cher au monde du rap. Le phénomène illustre aussi d’une certaine façon cet « afrobeat game » qui s’est développé au Nigeria sur le modèle du « rap game » entre les différents protagonistes, une compétition dans laquelle il faut affirmer sa propre réussite, avec tous les attributs bling-bling que cela implique et ses rivalités parfois plus fantasmées que réelles.

L’enjeu n’est plus seulement national : l’afrobeat version XXIe siècle s’est étendu depuis plusieurs années bien au-delà des frontières du pays pour prendre une dimension continentale : du Sénégal à Madagascar, toute une génération africaine a les oreilles autant que les yeux tournés vers Lagos et ses stars que sont Davido, Wizkid, Burna Boy et bien sûr Yemi Alade.

À 31 ans, celle qui vient d’être parallèlement nommée ambassadrice de bonne volonté du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) continue d’appliquer le principe artistique inculqué par son producteur Taiye Aliyu, partenaire historique dans le développement de sa carrière : enregistrer ses émotions au fil de l’eau.

Certes, les formats sont plutôt courts : la plupart des quinze morceaux d’Empress font à peine trois minutes – du temps de Fela, le roi de l’afrobeat qui pratiquait à sa façon la même instantanéité en studio, un même titre pouvait occuper les deux faces d’un 33 tours ! La recette permet à Yemi Alade d’être à tout le moins créative, puisque quinze mois à peine se sont écoulés depuis Woman of Steel.

Nouvelles équipes

Pour se renouveler sans se répéter, la jeune femme s’est adjoint les services de nouveaux compositeurs-producteurs tout en conservant quelques-uns de ceux avec qui elle avait déjà collaboré. Ses compatriotes Vtek, remarqué dès 2014 avec les rappeurs de P-Square (dont un des deux membres figure sur la liste des featurings d’Empress), et Kritzbeatz, qui s’est distingué récemment avec le Tanzanien Diamond Platnumz et la Malienne Oumou Sangaré, ont donc été rappelés.

Mais l’album sort de la sphère nigériane et révèle en particulier une connexion néerlando-nigériane inattendue. Enregistré en grande partie à Amsterdam, il fait intervenir des figures locales des musiques urbaines qui ont apporté leurs sons : Yung Felix pour Dancina, concentré minimaliste et redoutable avec sa boucle hypnotique sur lequel la chanteuse trouve le placement idéal ; Jimmy Huru dont les beats (Mamie Water, Control, Deceive) se situent dans un registre entre afropop et afrozouk. En 2015, Yemi avait d’ailleurs réalisé une version de Kissing avec le zoukeur franco-ivoirien Marvin Yesso.

Son attirance pour les duos avec des artistes francophones se confirme puisqu’après avoir honoré en 2018 l’invitation de Charlotte Dipanda sur l’album Un jour dans ma vie de la Camerounaise, elle a convié à ses côtés les rappeurs franco-africains Dadju (I Choose You) et Vegedream (Lose my Mind). Et c’est presque sans surprise, au final, qu’on l’entend passer du pidgin au français (« Viens bouger près de moi ») sur Control.

Dans la voix, au détour d’une phrase, çà et là ressortent des intonations qui rappellent Angélique Kidjo, modèle revendiqué (et qui avait participé au précédent album). Sur Rain, c’est l’influence sud-africaine qui est mise à l’honneur, tandis que Yoyoyo oscille entre guitare ghanéo-Congolaise et dancehall soft, avec ses allusions au tube jamaïcain Bam Bam. Si Sean Paul ou Shaggy venait tout à coup donner la réplique, on n’en serait guère surpris.

À l’évidence, la star nigériane a grandi les oreilles ouvertes sur le monde et s’est nourrie d’une multitude de styles. Quand elle s’en empare, une réaction musicale se produit. Avec Empress, elle a trouvé les doses idoines pour optimiser la catalyse.

 

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