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POLITIQUE

Hassim Tall Boukambou «L’abbé Fulbert Youlou était censé préserver les intérêts de la France»

Il y a soixante ans, le Congo obtenait son indépendance, en étroite association avec l’ancien colonisateur français. Jusqu’à quel point le pouvoir gaulliste a-t-il cherché à conserver le contrôle de son ancienne colonie ? Ces liens françafricains ont-ils des prolongements contemporains ? Le documentariste congolais Hassim Tall Boukambou répond aux questions de RFI.

Rfi: Hassim Tall Boukambou, le 15 août 1960, l’indépendance du Congo est proclamée. Le président s’appelle Fulbert Youlou. On sait à quel point le pouvoir à Paris compte sur lui comme point d’appui dans la région. Jusqu’à quel point ce jeune État congolais est-il un Etat néocolonial ?

Hassim Tall Boukambou: L’abbé Fulbert Youlou, effectivement, s’est aligné sur toutes les positions françaises. Il a travaillé avec tous les réseaux que l’on peut appeler les réseaux Foccart. Il était censé protéger les intérêts de la France du camp libéral contre toutes les poussées de gauche, Union soviétique, communistes…

On est, il est vrai, dans le contexte de la guerre froide et donc les autorités françaises misent beaucoup sur lui pour lutter contre le communisme en Afrique centrale…

C’est bien cela. L’abbé Fulbert Youlou va donc intriguer sur tout ce qui va se passer dans la sous-région, notamment au Congo Léopoldville de l’époque – le Congo Kinshasa d’aujourd’hui -, manœuvrer avec des personnalités comme Moïse Tshombé, Kalonji de la RDC, pour pouvoir mettre sur la touche Patrice Lumumba. Toutes les personnes qui entourent Youlou et qui sont ses conseillers, sont d’anciens vichystes…

Des Français qui étaient du régime du maréchal Pétain à Vichy ?

Exactement. Il y a ceux qui s’occupent de sa communication, ceux qui s’occupent de la Sécurité, de la Défense… Donc il est bien entouré.

Est-ce que pour autant l’abbé Fulbert Youlou est également un nationaliste ou est-ce que c’est juste un agent du pouvoir colonial ?

L’abbé Fulbert Youlou a plusieurs facettes. C’est quelqu’un qui joue sur la fibre nationale, sur la fibre ethnique avec un fief au Congo dit « Lari »… Il joue sur tous les tableaux, mais en gros c’est quelqu’un qui, en moins de deux ans, réussit un hold-up électoral. Rien ne présageait qu’une telle personnalité puisse émerger dans le contexte de l’époque.

Est-ce qu’il a obtenu, justement, le soutien des milieux français pour réussir ce holdup politique au Congo ?

Il a obtenu un soutien matériel, financier, logistique… Quand il repart au Congo, il y a des élections suite à la fameuse loi-cadre Defferre, qui propose effectivement de pouvoir alléger les choses. Puisque tout le monde sait qu’on va vers les indépendances… Donc il faut coopter certaines personnes, certaines élites dites plus compréhensives. Youlou va devenir le premier maire noir de la ville de Brazzaville.

Est-ce que cette ascension de Youlou a conduit à la mise à l’écart de leaders qui étaient plus authentiquement indépendantistes ?

Totalement. Quand on regarde les archives, des personnes comme Jacques Opangault, Jean-Félix Tchicaya, Julien Boukambou et d’autres dites de gauche, ce sont des personnes dont se méfiait le pouvoir colonial, puisque ce sont des personnes qui avaient des parcours atypiques. Certains étaient de véritables indépendantistes affichés et affirmés. Donc ces personnes-là, il fallait les écarter par tous les mécanismes possibles et imaginables.

Parce que ces personnes portaient de vraies revendications indépendantistes ?

Toutes ces personnes sont nées sous le régime du Code de l’indigénat. C’étaient des sujets français, pas des citoyens. Toutes ces personnes ont été formées dans des écoles missionnaires et toutes ces personnes voulaient recouvrer la liberté. Elles parlaient de la liberté africaine, de la personnalité africaine.

Elles soulignaient qu’effectivement, nous avons été enrichis d’apports européens. Nous sommes allés à « l’école du blanc », mais nous sommes néanmoins des Africains avec notre façon d’être, notre façon de voir… Elles ne voyaient pas au nom de quoi, en vertu de quoi, toutes ces richesses devaient être exploitées uniquement en direction de la métropole

Est-ce que vous diriez, comme d’autres, qu’au cours de ses soixante années d’indépendance, le Congo n’a pas pu sortir de ce système Françafricain ?

Dès 1963 pour le cas du Congo, il y a eu une révolution qui a permis l’évacuation d’une base française qui était établie sur place. Nous avons eu un régime dit de gauche, avec tout ce que cela impliquait, des alliances et les blocs de l’est… Le Congo a pu jouer sa partition d’un point de vue politique. D’un point de vue économique, effectivement, les intérêts français et autres ont perduré jusqu’à présent. Nous sommes passés de Elf à plusieurs compagnies qui ont encore pignon sur rue. N’oubliez pas qu’à l’issue de la guerre de 1997, nous avons vu des positions assez ambiguës de la part de la France, en soutenant les uns ou les autres et en jouant parfois les arbitres.

Où en est-on aujourd’hui, en 2020 ? Est-ce que terme de « Françafrique » a toujours un sens concernant le Congo ?

Pour moi, effectivement, la Françafrique est une notion du passé, parce qu’aujourd’hui on ne peut pas parler de la Françafrique quand on parle de gestion de l’eau courante qui n’est pas dans les robinets. On ne peut pas parler de la Françafrique quand on parle de l’état sanitaire de certains hôpitaux…

Il y a des choix que les élites africaines et congolaises font, des choix qui sont discutables de la part des populations. Donc on ne peut pas mettre tout cela sur le dos de la Françafrique. Nous avons aussi des élites qui ont totalement démissionné, qui effectivement ne voient que leurs petits intérêts immédiats. Aujourd’hui, en 2020, donc soixante ans après les indépendances, les élites africaines doivent être responsables de leurs actes.

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