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POLITIQUE

Chagos: ces îles sacrifiées sur l’autel d’un accord stratégique

La dispute autour de la souveraineté des îles Chagos oppose depuis de longues années l’île Maurice au Royaume-Uni, qui refuse de les lui céder, au désespoir des habitants de l’archipel. Plus d’un millier de Chagossiens ont été déplacés de force par les autorités britanniques dans les années 1970 pour faire place à une base militaire américaine stratégique. Mais ces dernières années, la pression internationale se fait plus intense sur Londres pour abandonner sa souveraineté et surtout permettre à ce petit peuple en souffrance de retrouver sa terre natale.

De notre correspondante à Londres,

Archipel paradisiaque de plus de soixante îles dans l’océan Indien, Chagos a vu son destin basculer en 1965. Cette année-là, le Royaume-Uni le sépare du reste de Maurice, qui est alors une colonie britannique. Londres achète les îles Chagos pour 3 millions de livres et crée le Territoire britannique de l’océan Indien (BIOT). Trois ans plus tard, lorsque l’île Maurice obtient son indépendance, les Chagos restent sous l’autorité des Britanniques, qui louent alors le territoire aux États-Unis désireux d’installer une base militaire sur l’île principale Diego Garcia. Mais pour mener à bien ce projet de défense sensible, il ne faut pas de témoins.

Entre 1968 et 1973, les Britanniques vont donc, à la demande de Washington, évacuer l’entière population de l’île, près de 2 000 habitants, d’abord de façon détournée en empêchant ceux qui ont quitté le territoire temporairement d’y revenir puis, dans les dernières années, en forçant les derniers habitants à quitter le territoire pour les réinstaller à plus de 1 000 km de là sur l’île Maurice, aux Seychelles voire au Royaume-Uni où certains espèrent reconstruire une vie meilleure. Mais les Chagossiens, ce groupe créole qu’on appelle encore Îlois et dont les ancêtres viennent de Madagascar, du Mozambique, d’Inde et de France, se retrouvent désormais déracinés et sans ressources. Logés dans des bidonvilles, ils vont vivre dans une pauvreté extrême et subir de nombreuses discriminations.

Déterminée à retourner sur son archipel, la petite communauté, sous l’impulsion des Chagossiens, commence à faire entendre ses revendications en organisant des grèves de la faim et des manifestations à Maurice. Au début des années 1980, le Groupe Réfugiés Chagos est fondé par Lisette Talate et Olivier Bancoult pour défendre leurs droits. Réinstallé de force dans son enfance sur l’île Maurice, Olivier Bancoult est devenu avocat et décide de porter la cause des Chagossiens et de leurs descendants devant la justice britannique.

Depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, il a sans relâche attaqué en justice les gouvernements britanniques successifs et continue à faire avancer le dossier en faisant gagner chaque fois plus de proéminence à la cause des Chagossiens, notamment en s’assurant du soutien de plusieurs Prix Nobel de la paix dont Desmond Tutu. En 2016 la décision de Londres de reconduire pour vingt ans jusqu’en 2036 le prêt de l’île Diego Garcia aux États-Unis a été un nouveau coup dur. Mais après de multiples rebondissements et l’implication active désormais du gouvernement de l’île Maurice, la dispute a été portée devant l’Organisation des Nations unies depuis 2017.

Des enjeux militaires

Mais la détermination du Royaume-Uni à ne pas abandonner la souveraineté des Chagos et à ne pas laisser sa population y revenir, s’explique par ses liens historiques avec « le grand frère américain », allié privilégié et puissant de Londres de longue date. Le sort de l’archipel et de son peuple a été scellé dans les années 1960, en pleine guerre froide, alors que les États-Unis cherchent à cette époque à avoir une présence militaire dans l’océan Indien. Ils entament des négociations avec le Royaume-Uni, qui accepte de séparer les îles Chagos de sa colonie mauricienne et d’en prendre le contrôle. Londres ferme les plantations qui s’y trouvent et dans lesquelles travaillent les Chagossiens pour vider l’île de ses habitants à la demande des Américains qui vont faire de Diego Garcia une base aérienne et navale. Un accord secret est finalisé le 30 décembre 1966 dans le dos de l’île Maurice, qui cherche alors à s’affranchir du Royaume-Uni. Depuis, le gouvernement mauricien affirme avoir dû céder à un chantage et s’être retrouvé forcé d’abandonner le petit archipel en échange de son indépendance, obtenue en 1968.

Après la chute du shah d’Iran en 1979, les Occidentaux cherchent à assurer la libre circulation du pétrole à travers le détroit d’Ormuz et les États-Unis obtiennent la permission d’agrandir les installations militaires sur Diego Garcia. Plus tard, la base devient stratégique dans la lutte contre le terrorisme, notamment après les attentats du World Trade Center en 2001. Les avions américains partent de Diego Garcia pour mener des bombardements en Afghanistan et en Irak. La base aurait aussi été utilisée par la CIA (l’agence américaine de renseignement extérieur) pour interroger secrètement des suspects terroristes. Dans les différents procès intentés par les Chagossiens au Royaume-Uni, l’un des arguments récurrents du gouvernement britannique est qu’un retour des habitants menacerait la sécurité de la base et augmenterait les risques d’infiltration terroriste.

Les Britanniques n’ont d’ailleurs pas ménagé leurs efforts pour assurer la pérennité de la base militaire : en avril 2010, l’archipel des Chagos est déclaré zone marine protégée afin de créer une réserve naturelle « unique au monde ». La décision est immédiatement controversée et les Chagossiens soupçonnent Londres de vouloir ainsi empêcher de façon irréversible leur retour dans l’archipel en leur interdisant de pêcher dans ces eaux. Leurs soupçons se vérifieront lors de la publication par l’organisation WikiLeaks de câbles diplomatiques datant de 2009 entre Américains et Britanniques. On y découvre des discussions qui décrivent l’établissement d’une zone protégée comme « le moyen le plus efficace à long terme d’empêcher les anciens habitants des Chagos ou leurs descendants de se réinstaller sur l’archipel ». Mais ce qui accroît la colère des Chagossiens et de leurs soutiens est que l’atoll de Diego Garcia est exclu de ce parc marin, permettant ainsi au personnel américain de la base militaire de continuer à pêcher pour assurer son approvisionnement quotidien en nourriture. Finalement, en 2015 la Cour permanente d’arbitrage saisie par le Premier ministre mauricien déclarera l’établissement de cette zone marine protégée illégal, en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. La décision est finale et contraignante et le sort de ce parc marin est désormais en discussion entre les autorités britanniques et mauriciennes.

Derniers rebondissements

Tout récemment, cette longue dispute a connu un nouvel épisode spectaculaire. En mai 2019, l’Assemblée générale des Nations unies a validé l’avis de la Cour internationale de justice de La Haye et voté une résolution demandant au Royaume-Uni de céder le contrôle des îles Chagos à Maurice avant le 22 novembre 2019. Néanmoins, la résolution n’est pas contraignante au regard du droit international et le Royaume-Uni refuse toujours, à l’heure actuelle, d’obtempérer. Le gouvernement de l’île Maurice a condamné l’attitude britannique et souligné l’hypocrisie d’un pays qui se dit pourtant un fervent avocat du respect des droits et de la loi internationale.

Loin d’abandonner le combat, les autorités mauriciennes disent explorer la possibilité de poursuivre le Royaume-Uni pour « crimes contre l’humanité » à l’égard de toute une population qu’il a expulsée de façon inhumaine et dont il refuse le retour sur ses terres. De son côté Londres, qui s’est excusé à maintes reprises pour son traitement des Chagossiens par le passé, tente de gagner du temps et s’engage à céder la souveraineté territoriale à Maurice à long terme, lorsque la zone ne sera plus jugée stratégique par les militaires. Le Foreign Office – le ministère des Affaires étrangères britannique – rappelle avoir promis une aide de 40 millions de livres afin d’améliorer la vie des Chagossiens établis à Maurice, aux Seychelles et au Royaume-Uni. Des Britanniques qui commencent clairement à sentir peser sur leur réputation le regard désapprobateur de la communauté internationale, mais qui restent pour le moment fidèles à son allié américain et ne veulent pas prendre le risque de lui déplaire. Les Chagossiens, eux, désespèrent de jamais revoir leur terre natale. Les plus âgés installés à Maurice accusent les autorités britanniques de traîner des pieds délibérément dans l’espoir qu’entre-temps la communauté se sera tout simplement éteinte.

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