Le 26 juin prochain, Madagascar célèbrera ses 60 ans d’indépendance. Crise sanitaire oblige, le Comité technique national d’organisation des festivités a réduit au minimum la célébration de cet anniversaire. Une déconvenue qui n’a pas empêché les bâtiments publics de pavoiser aux couleurs blanc rouge vert et de voir une multitude de drapeaux fleurir dans tout le pays, des fenêtres des habitations aux frontons des entreprises, du mobilier urbain jusqu’aux caches-bouches vendus partout dans les rues, l’emblème tricolore est partout. Adopté en 1958, au lendemain de la naissance de la 1ère République, le design du drapeau est resté inchangé depuis cette date. Pourtant, il n’a pas fait tout de suite l’unanimité et a même été vivement critiqué.
Nous sommes en 1958, deux ans avant l’indépendance. La 1ère République est sur le point de naître à Madagascar. Il est l’heure, pour le pays, de mettre en place ses emblèmes, qui seront reconnus par tous les citoyens malgaches. Alors, sur les ondes de « Radio Tananarive », la radio coloniale de l’époque et ancêtre de la RNM, la Radio Nasionaly Malagasy, un appel à projet est lancé dans toute l’île pour créer le drapeau de la future république.
Une commission technique composée de Malgaches des quatre coins de l’île, est formée spécialement pour choisir le drapeau.
Le 15 octobre 1958, soit le lendemain de la proclamation de la Première République, la commission se réunit et sélectionne les 5 projets qui lui paraissent les plus pertinents. Un photographe du Service Général de l’Information immortalise d’ailleurs la présentation de ces 5 drapeaux, tenus par des hôtesses hissées sur un podium face aux membres de la Commission.
Finalement, c’est le projet n°2 qui sera adopté, comme le montre un autre cliché inédit, dévoilé par le Musée de la Photographie de Madagascar, à Antananarivo, qui propose en ce moment une exposition sur les « Fêtes du retour à l’Indépendance ».
« Ce que l’on voit sur cette photo, c’est le projet retenu par la commission technique » commente l’historien et directeur du Musée de la Photo Tsiory Randriamanantena. « Il s’agit du drapeau dessiné par Andrianome Ranaivosoa. Ce citoyen est un agent de l’Institut géographique national malgache. »
Un motif géométrique simple et des couleurs marquantes
Une bande verticale blanche, deux bandes horizontales verte et rouge. Un design simple et marquant. « Pourquoi a-t-il été choisi ? Parce qu’esthétiquement, c’était assez joli, disons-le. Et puis parce que les couleurs allaient être facilement reconnues et retenues par les Malgaches » poursuit le directeur du musée.
A l’origine, les trois couleurs retenues par le concepteur du drapeau n’ont aucun sens particulier. Ce n’est qu’un peu plus tard, que des symboliques leur seront attribuées. Et c’est Barinia Tsara, membre du Bureau l’Assemblée nationale constituante, et futur ministre de Philibert Tsiranana, qui donnera les explications : « Le blanc, c’est la pureté, le rouge la souveraineté, le vert, Messieurs, c’est l’espérance ».
Polémiques politique et ethnique dès l’adoption du drapeau
Problème, ce drapeau subit une salve de critiques, de la part de l’opposition mais aussi d’une partie de la population. « A l’heure où l’on est en train de faire le choix d’un drapeau qui est censé représenter tout un pays, il fait polémique d’abord parce qu’il reprend les couleurs rouge et blanc du drapeau du Royaume Merina », explique Tsiory Randriamanantena. « Du coup, pour ses détracteurs, il met en valeur une certaine population, qui plus est la population qui a dominé au 19è siècle, sur l’ensemble du territoire malgache. »
Parallèlement, l’opposition de l’époque pointe du doigt les couleurs rouge et vert qui sont aussi celles du parti politique PSD, le Parti Social-Démocrate dirigé par Philibert Tsiranana, à l’époque, président du gouvernement provisoire.
Il faudra donc un certain temps avant que la population malgache n’accepte définitivement ce drapeau en tant qu’emblème de la nation.
Le drapeau sera présenté pour la première fois aux citoyens le 21 octobre 1958 sur l’Avenue de la Libération (qui changera de nom à partir du 26 juin 1960 pour s’appeler « Avenue de l’Indépendance »). Il faudra attendre encore deux ans pour qu’il flotte seul, sans drapeau français à ses côtés.
Une signification qui a évolué avec l’époque
Si le design du drapeau n’a pas subi de modifications, le sens attribué à ses couleurs tend à varier ces dernières années. Sur les sites des ministères, on peut y lire différentes explications : le rouge correspondrait à la victoire, à la couleur de la terre et des maisons malgaches ou encore au sang du zébu. Le blanc, lui, représenterait désormais la paix et la liberté. Quant au vert, il désignerait les plantations et les forêts malgaches. De nouvelles significations qui laissent perplexes et contrarient les plus anciens, mais qui n’ont pas entaché l’entrain à hisser les drapeaux sur les façades des habitations.
Cette année, le défilé militaire aura lieu à huis clos, non pas à Mahamasina – le stade est toujours en travaux – mais sur l’Avenue de l’Indépendance. Pour éviter les rassemblements, le feu d’artifice a été annulé et la fête des lampions, interdite. Le programme initialement prévu a été reporté au 14 octobre prochain, date anniversaire de la naissance de la 1ère République.
Finalement, seuls les drapeaux malagasy, imperturbables aux changements, continuent de flotter fièrement dans les airs, comme un pied-nez à cette pandémie.