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Sous les bombes américaines en Somalie, les civils meurent aussi

Depuis 2017, l’armée américaine a mené des centaines de frappes aériennes en Somalie. Selon Washington, celles-ci ont permis de tuer de nombreux jihadistes. Les ONG, elles, s’inquiètent de victimes civiles trop souvent ignorées.

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« Cet individu était un responsable clef de l’organisation al-Shabaab. Il était violent, sans foi ni loi et responsable de la mort de nombreux innocents. Sa neutralisation fait de la Somalie et de son voisinage des pays plus sûrs. » C’est avec ces mots que le général Stephen Townsend, à la tête du commandement américain en Afrique (Africom), a salué l’élimination de Yusuf Jiis lors d’un bombardement de précision le 2 avril dernier.

Particulièrement connu pour avoir mené des attaques contre les organisations humanitaires, ce cadre de l’organisation jihadiste vient s’ajouter à des dizaines de shebabs tués par les frappes américaines ces dernières années. Des frappes qui n’ont cessé d’augmenter depuis que le président américain Donald Trump a déclaré la Somalie « zone d’activité hostile » en mars 2017. De 47 tirs en 2018, l’aviation américaine est montée à 63 en 2019… et à 36 rien que sur les trois premiers mois de 2020.

« Donner les moyens aux civils de se faire entendre »

À chaque fois, l’Africom se félicite de militants islamistes tués. Les drones et les avions américains permettent, à en croire la communication de l’armée américaine, une très grande précision. Mais les ONG en doutent. « Ils sont rapides pour annoncer avoir tué des terroristes, dénonce Abdullahi Hassan, chercheur au sein d’Amnesty International qui couvre la Somalie. Nous avons investigué neuf de ces bombardements seulement. Et nous avons trouvé que 21 civils avaient été tués et 11 autres blessés. »

Dans deux dossiers documentés par Amnesty en février, tout porte à croire que les victimes n’avaient rien à voir avec al-Shabaab. Le 2 février, une frappe sur une maison de Jilib, dans le Sud, a coûté la vie à une jeune femme de 18 ans, blessant au passage une vieille dame et deux enfants. Nurto Kusow Omar Abukar est morte d’un éclat reçu en pleine tête. Ce jour-là, l’Africom a annoncé avoir abattu un terroriste, sans toucher de civils.

Le 24 février, une autre enquête d’Amnesty remet en question le bilan d’une frappe dans le même secteur, dans le village de Kumbareere. Plutôt qu’un terroriste, l’ONG a retrouvé le cadavre de Mohamud Salah Mohamud, 53 ans, notable et homme d’affaires connu dans la région. Il cultivait des bananes et gérait le bureau local de l’opérateur télécom national Hormuud.

Toute cette région est occupée par les shebabs. Certains ont-ils été repérés à proximité des lieux où ont été tuées ces personnes ? Peut-être. C’est l’opacité des décisions de tirs qu’Amnesty remet en question. « Ces gens, qui ont été victimes, n’ont pas de moyens de contacter l’armée américaine, plaide Abdullahi Hassan auprès de RFI. Nous réclamons à l’Africom et au gouvernement somalien de leur donner les moyens de se faire entendre, d’obtenir justice et réparations. »

Les garanties américaines

Côté américain, on assure faire le maximum pour préserver les populations civiles. « Nous avons des procédures en place pour assurer la sécurité et la protection des populations locales, explique-t-on à l’Africom. C’est l’une de nos priorités. Ces procédures, combinées à des capacités de frappes de précision, sauvegardent les civils et les infrastructures. »

L’armée américaine ne reconnaît sa responsabilité que dans la mort de deux civils, lors d’un tir d’avril 2018. Elle assure que les dossiers présentés par les ONG sont pris en compte, mais ne parvient pas aux mêmes conclusions : « Après un bombardement aérien, le commandement mène des analyses supplémentaires, pour s’assurer que les objectifs militaires ont été atteints et qu’il n’y a pas eu de pertes civiles. L’Africom prend en considération toutes les sources d’information disponibles. Nos analyses reposent souvent sur des méthodes de renseignement qui ne sont pas disponibles pour les organisations non militaires. »

Quels progrès sur le terrain ?

Ces vastes campagnes de bombardements sont, selon l’Africom, le résultat d’efforts militaires réguliers de l’armée somalienne et de ses alliés internationaux dans les zones occupées par les shebabs. Ces derniers ont encaissé des coups, estime Stig Jarle Hansen, professeur à l’Université des sciences de la vie de Norvège (NMBU). La majorité de leurs vétérans des guerres en Afghanistan seraient morts, même s’ils ont été rapidement remplacés. « Ils sont moins idéologisés, mais ont autant de moyens », résume ce spécialiste.

Mais pour Stig Jarle Hansen, ces nombreux bombardements n’ont pas eu d’impact décisif sur la guerre en Somalie : « Les drones n’ont pas fait basculer l’équilibre. Ils suscitent beaucoup d’attention mais n’ont pas eu d’effets stratégiques. Ça fait peur aux responsables shebabs et ça dissuade parfois certaines pratiques, comme la tenue de tribunaux de la charia. Mais les shebabs restent très forts sur le terrain et l’armée somalienne ne me semble pas prête à contrôler durablement le territoire. »

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