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Cheick Diallo, un maître africain du design

Grand nom africain du design, Cheick Diallo est de tous les salons et biennales. Comment s’est-il forgé ? Grâce à un esprit aussi libre que malicieux, depuis l’enfance. Ce qui lui a valu quelques ennuis, mais aussi un grand succès. Portrait.

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Né en 1960, Cheick Diallo fait partie des premiers citoyens du Mali indépendant. Sa mère est sénégalo-malienne et son père, Seydou Diallo, un architecte sénégalais installé à Bamako à l’époque du Soudan français. Il est connu pour avoir revisité le style « soudanais » de la grande mosquée de Mopti, et fait du « néo-soudanais » l’architecture qui marque toujours Bamako et les grandes villes du Mali.

« À l’école française à Bamako, j’étais le seul Noir de ma classe. Je me battais tous les jours car je ne voulais pas être la tête de turc. Comme je savais me battre, ça posait problème ». À l’âge de 7 ans, il est jugé si turbulent que ses parents le confient à son oncle en Casamance, un instituteur qui venait d’être affecté dans cette province du sud du Sénégal. Trop occupé avec ses deux classes, son oncle le confie à son tour à une famille de professeurs de Marsassoum, une commune située entre Bignona et Sédhiou, sur un affluent du fleuve Casamance.

Un paradis qui lui laisse une marque « indélébile », dit-il. Il bricole, se fabrique ses jouets et profite d’une éducation qui « s’est perdue en ville ». Avec le wolof, le bambara et le français, les valeurs de respect, de goût du travail et de liberté représentent les trois pieds de son tabouret intérieur, bien avant qu’il ne se mette à faire du mobilier. « Je me sentais libre, je n’étais plus le petit citadin surprotégé. J’étais chez des paysans qui ne m’interdisaient pas d’aller jouer en brousse ou dans le village. On passait notre temps à pêcher, chasser, cueillir et lutter. Les tournois de lutte traditionnelle marquaient la fin des récoltes. Les villages se défiaient par le biais de leurs jeunes garçons. »

Seul point d’ombre dans ce tableau idyllique : « Personne ne me disait d’aller à l’école… Ma mère n’était pas dupe, elle s’est rendue compte qu’on trichait sur mes bulletins de note. Quand je rentrais en vacances à Bamako, elle contrôlait mon niveau ».

« Elève intelligent, mais distrait »

À 12 ans, rapatrié à Bamako, il est inscrit dans une école publique où il se distingue surtout par ses aptitudes à la lutte pendant les récréations. Il continue de cacher ses cahiers, d’aller pêcher et de n’en faire qu’à sa tête. La sanction tombe : il va redoubler chez les bons pères à l’école de la cathédrale, où la rigueur est de mise. Il rate son certificat d’étude. Se voyant rattrapé par ses petites sœurs, avec lesquelles il ne veut pas se retrouver en classe, il a un premier déclic. Il se met à travailler, même s’il dessine et rêve pendant les cours. « Très intelligent, mais distrait », notent ses professeurs sur ses bulletins.

Après un détour à Dakar, comme nombre de jeunes Maliens, pour cause de grèves et d’années blanches dans les lycées, il passe son Bac B à l’école française de Bamako, où il n’y avait que… trois élèves en terminale. Il se prépare à partir en France. En toute indépendance, il décide de ne pas rejoindre ses amis à Reims. La raison ? Ce qu’il les entend dire sur leur mode de vie. « Ils dormaient du lundi au dimanche dans les boîtes de nuit ! ». Il laisse tomber un stylo sur une carte de France en visant près de Paris, et tombe sur Rouen. Sur place, il découvre qu’il est « Africain, point », et rencontre la communauté des étudiants du continent. « La notion de nationalité était gommée, je me sentais à l’aise, d’autant que j’ai toujours été l’étranger partout : le Sénégalais au Mali, le Malien au Sénégal. J’ai adopté cette idée pour ne pas en souffrir, et en faire plutôt une richesse ».

D’abord inscrit en Sciences économiques, il bifurque dès qu’il découvre que Rouen abrite une école d’architecture. Il se fait de nouveaux amis, des Français, entre dans les familles, découvre que « l’architecture, c’est d’abord et avant tout de la curiosité », et tient la promesse qu’il a faite à sa mère : il ne boit pas une goutte d’alcool.

Un tabouret avec une pelle à neige renversée

Il devient un « mercenaire » des agences d’architecture, au point de se voir confier une agence à Deauville, pendant trois ans. Il découvre le terroir, redessine des corps de ferme achetés par des Anglais, se fait des soirées Michel Audiard et des voyages en Afrique avec des amis. Peu pressé de rentrer au Mali, où la notoriété de son père va le contraindre à se faire un prénom, il prolonge ses études à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle à Paris, l’ENSCI-Les Ateliers.

Son idée d’alors a guidé toute sa carrière : « réinventer l’écriture d’une Afrique moderne et contemporaine », pour la montrer. Son premier succès relève du détournement et non d’une identité. Il créée un tabouret avec une pelle à neige renversée, dont les formes rappellent les fesses humaines. Son idée part du constat selon lequel « le premier tabouret, ce sont les talons ».

Le reste appartient à l’histoire. L’objet est remarqué au salon Scènes d’intérieur à la porte de Versailles. Il fait un tabac lors du premier salon du design africain, intégré à la Biennale des arts de Dakar en 1996. Il présente trois objets, parmi lesquels une lampe sagaie, qui s’allume et s’éteint lorsqu’on la frappe au sol. Avec une douzaine d’autres, parmi lesquels son ami dakarois Nicolas Sawalo Cissé, il fonde l’Association des designers africains, dont il est l’actuel président.

Son parcours l’emmène ensuite au Togo, pour « coacher » des créateurs avant le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) de 1997 au Burkina Faso. La ministre de l’Artisanat et du commerce du Mali s’étonne de le voir dans cette délégation et l’appelle pour un programme et une exposition Made in Mali. Il rassemble beaucoup d’artisans pour dessiner des produits destinés à l’export, dont les dix qui travaillent toujours pour lui.

Appelé pour une scénographie au chantier naval de la Ciotat près de Marseille, il monte en 1997 son atelier Diallo Design à Rouen. Cette ville reste sa base, même s’il a toujours un pied au Mali. Il devient une figure internationale au gré des ateliers et des salons du design, souvent missionné par l’Institut français, l’USAID et l’agence canadienne Trade Facilitation Office (TFO). Une grande date pour lui : l’exposition itinérante Africa Remix, en 2005, qui propose pour la première fois un aperçu de la création contemporaine.

Consultant, il est lauréat du Salon du design de Montréal en 2006 avec une table basse faite en tressage de coton endurci à la résine. Il va de la Biennale de Saint-Etienne au Salon de Milan, en passant par Londres, New York et la Eindhoven Design Week aux Pays-Bas. Il y rencontre des galeristes, qui sont aujourd’hui quatre à présenter son travail à New York, Londres, Le Cap et Bamako.

Détail d’une installation à Segou Art, février 2020, sur le « virus du pouvoir ».
Détail d’une installation à Segou Art, février 2020, sur le « virus du pouvoir ». RFI/Sabine Cessou

Ce qu’il y a d’africain dans le design

Il répond à des commandes privées, aussi bien pour du mobilier que des projets d’architecture, et participe à des expositions d’art contemporain. Il a signé la scénographie des dernières Rencontres photographiques de Bamako, et incarne à lui tout seul l’essor d’un design qu’il n’aime pas beaucoup appeler « africain ». « Qu’y a-t-il d’africain dans le tieboudienne, le plat national du Sénégal ? Du riz, qui se consomme partout, de la sauce, des légumes, du poisson… Le tieb est sénégalais pour la façon dont il est fait sur place. Mais le design appartient à tout le monde, il ne peut être africain que dans sa touche, une manière de faire et un usage spécial. » Parmi ces usages, il cite le mobilier présenté à Bruxelles lors de Table Manners, pour un « design à terre » correspondant à la manière de manger des Sénégalais, autour d’un bol sur une natte au sol.

À Dakar, il est connu pour ses couverts, inspirés par l’artisanat touareg au Mali. La pièce qui le représente le mieux figure sur sa carte de visite. Ce fauteuil de coton rouge sur armature métallique porte cette fameuse « touche africaine », non ostentatoire chez lui. « Quand je suis rentré au pays, j’ai fait une critique du mobilier : un seul fauteuil pouvait remplir tout un salon, comme à Dubaï. J’ai proposé un autre modèle plus léger, aérien, pratique et coloré, avec des formes similaires aux gros fauteuils convoités, en m’inspirant du mobilier du pauvre, structures en métal et fil de pêche tissé. »

Aujourd’hui, son rêve serait de créer un centre de formation, pour formaliser l’académie qui se pratique déjà chez lui. « Transmettre est devenu vital », dit-il. Il n’est pas venu à bout du gros fauteuil mastoc, toujours roi en Afrique de l’Ouest, mais il a conscience d’avoir « déplacé le curseur et abattu un travail qui porte ses fruits ». En attestent les succès d’Ousmane Mbaye au Sénégal ou Jean-Servais Somian en Côte d’Ivoire. S’il fallait citer un modèle en Asie, il parlerait du Vietnam, « un pays qui a réussi à développer son artisanat dans le design, comme les Scandinaves, pour mieux produire et en quantité ». Comme son père, Cheick Diallo se voit beaucoup copié, la rançon d’un succès dont les deux hommes se sont parlé. « Nous étions très proches et pas d’accord sur tout, se souvient-il. Une belle rivalité existait entre nous, qui m’a beaucoup aidé. À la fin, il m’appelait « le patron ». Une boutade… » 

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