État des lieux, sensibilisation, prévention, prise en charge des cas suspects et avérés du Covid-19… Comment le Gabon fait-il face à la pandémie de coronavirus ? Éléments de réponse avec le Dr Wencelas Yaba.
Le docteur Wencelas Yaba est épidémiologiste clinicien, coordonnateur général du SAMU social gabonais et expert en santé publique et en organisation des systèmes de santé.
Lundi 6 avril au matin, il était l’invité de l’émission Priorité santé, sur RFI.
Quelle est la situation au Gabon aujourd’hui ?
Nous avons enregistré un décès pour 24 cas positifs, qui sont très bien pris en charge. Les autorités gabonaises avaient compris l’importance d’organiser, de structurer les choses très tôt, à travers un comité de pilotage interministériel. Nous sommes vraiment à l’affût du moindre cas, avec des prélèvements qui sont suivis de manière rigoureuse, dans notre laboratoire P4, du Centre international de recherches médicales de Franceville.
Quel était le profil des premiers cas ?
Il s’agissait de voyageurs en provenance essentiellement de France et de pays déjà touchés par l’épidémie. Ces personnes ont, pour la plupart d’entre elles, été contrôlées dans les aéroports. Nous avons installé très tôt un numéro vert au Gabon : le 14 10. Les Gabonais ont été informés par les médias, par la communication gouvernementale pour appeler ce numéro vert. Quand les Gabonais ont les symptômes, ils peuvent appeler ce numéro.
Nous en sommes en zone tropicale, avec des maladies infectieuses et tropicales récurrentes, nous avons voulu faire du tout-venant. Il n’y a pas de dissociation entre les symptômes liés aux grippes saisonnières classiques et ceux liés au Covid-19, car nous voulons voir tout le monde. Nous nous évertuons à faire cela 24h/24. C’est ainsi que nous arrivons à circonscrire jusqu’à présent l’épidémie ici, avec ces mesures gouvernementales qui doivent être scrupuleusement suivies.
Quelle est la stratégie du Gabon en termes de prise en charge des patients ?
Nous avons réquisitionné un hôtel, dans lequel nous avons installé les cas positifs, les cas contacts et ceux qui ont été en contact d’un cas contact. Il y a autour de 200 personnes qui sont regroupées dans cet hôtel.
Cela signifie que toutes les cas suspects sont isolés de la communauté ?
Oui, dès qu’ils sont dépistés ou qu’il y a des collusions avec une personne dépistée positive, immédiatement, ces personnes sont isolées dans cet hôtel ou dans les hôpitaux réquisitionnés. Dans ces hôpitaux, il y a des salles d’hospitalisation avec des réanimateurs, des infectiologues et des épidémiologistes qui suivent la question.
Vendredi dernier, la présidence a fait savoir que Libreville serait en quarantaine, dans les prochains jours. Qu’est-ce que cela implique ?
Libreville est une ville composée de trois communes : Libreville intramuros, la commune d’Akanda et la commune d’Owendo. La situation démographique du Gabon est particulière. Nous avons une capitale qui réunit 56 % de la population gabonaise globale. La population est concentrée sur 12 % du territoire, car 88 % du pays est recouvert par la forêt. Il suffit que l’on fasse un confinement du grand Libreville, ce qui a été décidé par les autorités, pour porter un coup important à la propagation de l’épidémie.
Cela signifie qu’on ne sort pas de la ville, mais on peut sortir de chez soi…
Non, il faut déjà respecter ce confinement. Pour l’instant, il est partiel et est respecté, de 19 h à 6 h du matin. En journée, il y a eu une réduction des agents publics, des employés dans les sociétés… On ne peut pas interdire aux gens de sortir de la maison, car certains métiers nécessitent de sortir, pour le fonctionnement normal du pays. Les mesures qui sont mises en place, doivent être respectées dans le contexte mondial actuel.
Le confinement est difficile à tenir quand il faut continuer de se nourrir…
Il faut savoir qu’il y a d’une part, un principe de santé publique et un problème de subsistance des populations d’autre part. Au Gabon, on n’a pas le monopole de la souffrance. On confine des personnes dans le monde entier. Ce n’est pas parce que l’on va confiner des Gabonais, des Africains, momentanément pour juguler une épidémie, que l’on va stigmatiser les Africains en disant qu’ils souffrent plus que les autres. En France aussi, la précarité existe et tout le monde a été confiné.
En France, les autorités essayent de distribuer de la nourriture aux sans-abris, les mettent à l’abri. Avec toute l’économie informelle existante dans de nombreux États africains, c’est plus difficile à tenir.
Je suis réaliste. Je comprends très bien cette question, mais en ce début d’épidémie en Afrique, il serait judicieux de dire d’abord aux Africains qu’il faut respecter les mesures du gouvernement. En ce qui concerne le gouvernement gabonais, il a pris des mesures extraordinaires. Il y aura des banques alimentaires au Gabon qui vont commencer dans le courant de la semaine, pour donner à manger aux plus démunis. On va faciliter beaucoup de choses pour les entreprises, car elles sont à l’arrêt. On va donner des subventions à certaines sociétés, pour qu’elles continuent de vivre et éviter que l’économie soit démantelée. Il faut que nous soyons réalistes : il y a une épidémie qui tue ! On ne peut pas dire, d’un côté, que l’Afrique risque d’avoir des problèmes pour prendre en charge cette pandémie et de l’autre côté, ne pas prendre des mesures pour éviter qu’elle ne s’étende !
Vous êtes coordonnateur général du SAMU social au Gabon… Il y a les mesures prises au niveau gouvernemental et il y a l’action de ce SAMU social. Est-ce que vous pouvez nous décrire la nature de cette action précise ?
Dans le contexte actuel, l’apport du SAMU social au système de santé global a été décisif puisque nous avions un stock de masques important : 108 000 masques. Jusqu’à présent, nous en avons distribué 69 000 aux populations vulnérables, aux agents de la force publique qui sont les plus exposés la nuit, puisque nous sommes en confinement partiel. Depuis 14 jours, nous allons dans les maisons des personnes âgées. C’est facile pour nous car nous avons une base de données 376 800 personnes. Nous avons interrogé la base, pour avoir les coordonnées de ceux qui ont plus de 60 ans et les femmes enceintes. Nous avons demandé aux femmes enceintes de tout le pays (nous sommes déployés dans 6 provinces avec 51 ambulances) d’appeler le numéro vert (le 14 10) pour que nous allions à leur rencontre car elles sont vraiment exposées. Au bout du compte, ce système a bloqué les contaminations. Le policier ne peut pas faire un contrôle de police à 1 m 50, qui sont les normes de distanciation sociale. Il doit se courber à 20 cm, d’où l’importance du port du masque.
Des auditeurs nous demandent s’ils peuvent utiliser de l’eau de javel en l’absence de gel hydro alcoolique : bonne solution ou dangereux ?
Il faut être réaliste et ne pas faire semblant d’ignorer les difficultés en Afrique. L’eau de javel doit être diluée dans suffisamment d’eau, pour laver les mains… Mais entre un peu et rien du tout, il faut faire avec un peu. Au Gabon, nous allons tout faire pour donner tous les moyens aux personnes exposées.
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