Un programme d’évacuation d’urgence de Libye permet au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), via le Niger, de réinstaller des personnes « particulièrement vulnérables » dans des pays dits « sûrs » en Europe et en Amérique du Nord. Témoignages de deux jeunes Érythréens, l’un encore au Niger, l’autre « réinstallé » en France.
Le vent soufflait et la chaleur de ce mois d’avril au Niger paraissait moins forte. Il n’y avait pas un arbre sous lequel s’abriter dans le nouveau camp de Hamdallaye en train de pousser dans le sable, à une vingtaine de kilomètres de Niamey. Mebratu*, 26 ans, restait à l’ombre de sa tente préfabriquée, décorée avec les couvertures colorées distribuées par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Mais en ce printemps 2019, le jeune Érythréen affichait un large sourire. Il venait d’apprendre son départ pour la France neuf jours plus tard.
Comme tant de jeunes hommes de son pays, Mebratu avait fui le service militaire à vie, imposé par la dictature du président Issayas Afewerki. Il était convaincu que l’Europe lui offrirait la liberté qu’il cherchait, mais son périple s’était arrêté dans une prison libyenne. Deux ans sont passés puis le HCR lui a proposé de l’évacuer vers le Niger. « J’étais dans un camp de détention à Misrahi avec 110 personnes originaires d’Afrique de l’Est. Après six mois de procédure, un délégué libyen du HCR nous a embarqués dans trois bus pour Tripoli et nous avons pris l’avion. Quand je suis arrivé ici, j’avais l’impression d’être né une deuxième fois. Je ne pensais pas que je survivrai. J’étais si heureux, je me sentais libre. »
Mebratu a bénéficié d’un programme d’urgence mis en place par le HCR avec plusieurs pays d’Europe et d’Afrique en août 2017, suite à un reportage de la chaîne de télévision américaine CNN sur des cas d’esclavagisme de migrants en Libye. L’Emergency Transit Mechanism (ETM) est présenté par le Niger et ses partenaires occidentaux comme le pendant humanitaire de la politique de lutte contre « les réseaux d’immigration économique irrégulière », mise en place en novembre 2015 par le sommet euro-africain de La Valette sur la migration.
L’ETM permet à l’organisation onusienne de « réinstaller » (vocabulaire du HCR) les réfugiés « particulièrement vulnérables » dans des pays « sûrs » en Europe et Amérique du Nord. Selon les derniers chiffres, 2 310 personnes avaient été réinstallées pour 6 351 promesses faites par les 14 pays volontaires. C’est un tout petit chiffre par rapport aux 600 000 migrants présents en Libye, dont 46 000 réfugiés. Le « profiling » (la sélection) s’effectue dès les camps de détention libyens pour identifier les plus vulnérables et surtout les nationalités qui pourront prétendre au statut de réfugié. Seules sept nationalités sont considérées comme pouvant relever du droit d’asile par les autorités libyennes, qui n’ont pas signé la Convention de Genève : Éthiopiens oromo, Érythréens, Irakiens, Somaliens, Syriens, Palestiniens et Soudanais du Darfour.
Une fois évacués vers le Niger, la longue attente continue pour ces hommes et ces femmes, comme le racontait Mebratu en avril 2019 : « Cela fait presqu’un an que je suis à Niamey. C’est à cause de toutes ces procédures. Il y a des gens qui sont là depuis plus d’un an et ne savent pas encore s’ils partiront. Moi, je pars enfin. Je compte les jours, mais je suis serein. »
Dans sa petite chambre du foyer des jeunes travailleurs dans une ville de Dordogne, dans le sud-ouest de la France, Asante* n’a pas oublié les nombreux entretiens qu’il a dû passer au Niger avec le HCR. L’Office français chargé de délivrer le statut de réfugié (Ofpra) s’est aussi déplacé à Niamey pour l’interroger. Contrairement à d’autres pays, qui laissent le HCR gérer tout le processus, la France tient à ce dernier entretien avant de donner son accord. Elle a accueilli 10 000 « réinstallés » depuis fin 2017, dont 3 000 Africains arrivant des camps du HCR au Niger, au Soudan et au Tchad.
Asante a atterri en septembre 2018 à Paris. L’association chargée par l’État français de l’accueillir l’a emmené à Bordeaux, puis dans un centre médico-social de Dordogne où il a passé quelques mois. Après des examens médicaux, un suivi psychologique et 200 heures de cours de français, il vit aujourd’hui dans un foyer avec d’autres jeunes étrangers et français. Il attend toujours de commencer la formation d’électricien qu’il a demandée il y a plus d’un an. « Depuis que je suis en France, j’attends tout le temps. Tout ce que je veux, c’est apprendre. Travailler, être plus fatigué, c’est ça mon rêve ! »
Il suit des cours de français trois jours par semaine, mais son niveau reste insuffisant. Il se rend régulièrement à Pôle emploi, espérant qu’ils lui proposent une activité. Asante voudrait partir pour retrouver ses « amis, rencontrés au Niger dans le camp, qui ne sont pas avec [lui], certains réinstallés à Lyon ou Marseille ».
L’accompagnement des associations mandatées par l’État, telles France terre d’asile ou Forum réfugiés-Cosi, s’arrête au bout d’un an pour des raisons financières. C’est trop court, selon les bénévoles qui accompagnent ces réfugiés jugés « particulièrement vulnérables » par le HCR.
Brigitte et Marie-Noëlle sont bénévoles dans la petite ville de Nontron, en Dordogne, dans une zone rurale. Elles témoignent du niveau de français très faible et de l’état de santé, physique et psychologique, fragile de ces réfugiés. La coopération avec les associations mandatées n’est pas très bonne et elles n’ont reçu aucune formation pour accompagner ces gens qui ont souvent un passé traumatisant.
« C’est lourd mentalement et j’ai été obligée de m’arrêter à un moment donné », raconte Brigitte, particulièrement impliquée, qui s’occupe du soutien scolaire et d’accompagner les réfugiés à leurs très nombreux rendez-vous médicaux, souvent loin de Nontron. « L’histoire de ces gens est douloureuse, renchérit Marie-Noëlle. Lorsque nous les accompagnons aux rendez-vous médicaux, nous entrons dans leur intimité. On ne peut pas s’habituer à une telle souffrance physique ou mentale. Heureusement, on se soutient entre nous. »
Aujourd’hui, quatre des six familles accueillies à Nontron sont parties, soit parce que le père avait trouvé un travail, soit pour rejoindre des proches réinstallés ailleurs en France. Asante est resté seul en Dordogne. Il vit du revenu de solidarité active (RSA), des aides de la Caisse d’allocation familiale (CAF) et de la solidarité du voisinage. C’est une assistante sociale du département qui s’occupe de lui depuis que l’association mandatée a mis fin à l’accompagnement. Il ne bénéficie plus d’un dispositif particulier en tant que réfugié. Il est suivi comme tous les gens fragiles présents en Dordogne.
Mebratu est arrivé en France, le 9 mai dernier, avec 32 autres personnes évacuées de Libye. Comme Asante, il a bénéficié pour son installation du financement européen qui permet à la France de recevoir ces réfugiés. Le suivi national d’accueil pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, plus long et progressif, ne s’applique pas à ces gens pourtant très fragiles, victimes de guerre ou d’un parcours migratoire traumatique.
Mebratu ne connaissait pas encore sa destination finale en France quand nous l’avons rencontré, mais il savait d’où il venait et remerciait le pays qui avait accepté de l’accueillir : « Je ne pensais pas que je serais vivant aujourd’hui. En Libye, on pouvait mourir sur une plaisanterie d’un gardien, alors je suis reconnaissant de ce qu’il m’arrive. Merci la France ! » Nous n’avons pas réussi à retrouver Mebratu, malgré nos demandes à l’administration française. A-t-il gardé le même sourire que celui qu’il arborait avant son départ de Niamey ? La route reste longue pour ces réfugiés qui doivent s’intégrer dans un nouveau pays après des années d’errance et de violences.
* Les prénoms ont été modifiés
Cette enquête a été initiée par l’auteure, rédactrice en chef de la revue mensuelle De facto, avec les chercheurs de l’Institut Convergences Migrations.
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