Les députés tunisiens ont refusé, vendredi 10 janvier, d’accorder leur confiance au nouveau gouvernement emmené par le Premier ministre Habib Jemli. 72 ont voté pour et 217 contre. Un échec pour Habib Jemli, mais aussi pour le parti Ennahdha qui l’avait désigné, le 15 novembre dernier.
Ce revers vient ainsi signer l’échec du patron d’Ennahdha et président du Parlement, Rached Ghannouchi, qui menait en coulisses les discussions et qui n’a pas su convaincre.
Joint par RFI, le politologue tunisien, Selim Kherrat, parle à la fois d’une « erreur de stratégie » pour Ennahdha qui reste le premier parti au sein de la nouvelle assemblée, avec 54 sièges, mais qui a perdu en influence dans un nouveau Parlement, très morcelé, et aurait surestimé son « hégémonie » dans les négociations, et parle aussi d’une « erreur de casting ». Selon lui, c’est autant la figure du Premier ministre que la composition du gouvernement qui a été rejetée vendredi.
« Il n’y avait pas une majorité de personnalités proches d’ Ennahdha mais il y avait certaines personnalités qui dérangeaient, notamment sur des ministères régaliens. Les postes qui posaient problème étaient les postes du ministre de l’Intérieur. La personne qui a été désignée n’est pas appréciée par plusieurs acteurs de la société civile qui ont défendu le dossier de Chokri Belaïd, le responsable politique qui a été assassiné en 2013. Ils l’accusent de parti pris dans cette affaire-là. Pour le ministère de la Justice, il s’agit d’un juge qui, en 2003, a suspendu les travaux de la commission exécutive de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, sur ordre du régime de Ben Ali. Ce sont donc des gens qui ne sont pas tout à fait nets. Et cela ne satisfaisait pas les autres partis en négociation », souligne Selim Kharrat.
Le rapport de force a changé
Désormais, selon la constitution tunisienne, il revient à présent au chef de l’État Kaïs Saied de lancer des consultations pour désigner un nouveau chef de gouvernement. Une fois nommé, celui-ci aura un mois pour former un gouvernement et recevoir l’aval du parlement. Faute de quoi, le président pourra décider de dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles législatives.
Ainsi, selon l’analyste Selim Kharrat, « dans les nouvelles négociations qui s’engagent, le rapport de force s’est complètement modifié ».
« Ennahdha sort quand même avec un échec et puis, ils n’auront pas la main sur la désignation du futur Premier ministre puisque c’est au président de la République que revient cette tâche et de ce fait, le président va porter une part des responsabilités sur l’issue des négociations. Il va donc, à mon avis, essayer de peser pour faire en sorte que cette nouvelle tentative puisse être la bonne », précise-t-il.
Selim Kharrat souligne également que le président ne repose pas sur un parti au parlement et qu’il est « farouchement attaché à son indépendance ». Aussi, il ne pense pas que le président puisse « céder à la pression de l’une ou de l’autre des parties » mais, explique-t-il, le président « peut mettre en place des stratégies d’alliances qui font qu’il va plutôt prendre le côté d’un parti plutôt que de l’autre. Cela, on le saura dans les prochains jours », conclut-il.
Le président « n’a pas droit à l’erreur »
Le président n’a pas droit à l’erreur, c’est-à-dire qu’une faute de casting pourrait coûter très cher, voire même la dissolution de l’Assemblée et l’organisation des législatives anticipées en mars 2020.