Depuis 1982, dans la forêt de Mbaïki (sud-ouest), des chercheurs s’intéressent au processus de régénération de la forêt dense humide.
Hormis les chants de cigale, rien ne semble vouloir troubler cette parcelle de forêt très dense, dans laquelle s’enfoncent Félix Allah-Barem et Fidèle Baya, le responsable et le technicien du programme Appuis à la recherche forestière (ARF). Dans cette concession proche de Mbaïki, à 80 km au sud-ouest de Bangui, ARF gère depuis 38 ans un dispositif unique dans le bassin du Congo. Fruit d’un partenariat public privé, il a pour objectif d’étudier la capacité de régénération de la forêt après la coupe de ses essences exploitables.
C’était bien avant la première Cop. Mais déjà, le pays se préoccupait « d’assurer une transmission équitable aux futures générations de son héritage forestier », selon Félix. L’or vert de la Centrafrique, cet incroyable massif de 23 millions d’hectares, dont près de 4 millions sont exploitables et attribués à des industriels. Dans cette prolongation du bassin du Congo, on trouve des espèces très demandées, comme le Sapelli, le Sipo, ou l’Ayouz, et cette industrie contribue, en temps normal, à plus de 10 % du PIB centrafricain. Mais seulement 14 essences sur les quelque 240 référencées par l’ARF sur ces parcelles sont exploitables. Quelques-unes, plus rares, sont coupées à la demande.
35 000 arbres comptabilisés, mesurés, numérotés et marqués
Pour assurer la perpétuation des essences économiquement viables après la coupe il était donc nécessaire de mieux connaître la forêt dense humide de cette région. Avec l’appui financier de la France, le ministère des Eaux et Forêts met en place au début des années 1980 ce « dispositif permanent d’étude de la dynamique des peuplements naturels », au sein d’une concession de la Société centrafricaine d’agriculture et de déroulage (SCAD). Depuis 1982, une dizaine de parcelles de 9 hectares (zones tampon comprises), ont ainsi été délimitées. Trois ans plus tard, sept d’entre elles étaient mises en exploitation, alors que trois parcelles « témoins » restaient à l’état de forêt primaire.
Depuis, chaque année, plus de 35 000 arbres sont comptabilisés, mesurés, numérotés, et marqués, lors d’une campagne d’inventaire vers avril-mai, impliquant une quinzaine d’ouvriers. « L’équipe est constituée de mesureurs, de marqueurs, mais aussi de porteurs d’échelles, précise Félix. Quand les contreforts de l’arbre (excroissance du tronc à la base de l’arbre) sont trop importants, on doit parfois monter jusqu’à 4,50 m pour le mesurer. » Des arbres meurent, d’autres, qui atteignent 10 cm de diamètre, se voient créer une fiche identique aux autres, où toute leur vie sera consignée.
« Pour certaines espèces le diamètre minimum d’exploitation et le diamètre « efficace », qui permet une fructification suffisante de l’arbre, sont parfois très proches, ajoute Félix. Il y a des risques que l’on coupe un individu qui ne s’est pas suffisamment reproduit. La précision des informations que nous fournissons est donc très importante. » Les ouvriers sont généralement recrutés dans le voisinage, une façon de s’assurer, avec les autorités villageoises, que le dispositif ne sera pas touché en attendant la prochaine campagne. Il faut aussi entretenir tout au long de l’année les layons autour et à l’intérieur des parcelles, pour favoriser le travail de comptage.
Le rôle précieux des arbres
Au détour d’une parcelle, « Le Vieux » apparaît, un énorme Kosipo, si haut que ses branches les plus hautes semblent se confondre avec le ciel. « Il fait plus de 3 m de diamètre, c’est le plus gros du dispositif, et de tous ceux que j’ai pu voir en RCA, affirme Félix. Si celui-ci tombe, la biomasse totale du dispositif va chuter », ajoute-t-il en riant. Dans la forêt, certains hévéas sont scarifiés, preuve que des Pygmées – dont les principales ressources viennent de la forêt – les exploitent pour leur sêve. Des sentiers de forêt conduisent à des campements de cueillette de chenilles, ou à des mines artisanales d’or ou de diamants. David désigne de sa machette un parassolier, perché sur ses racines qui sortent du sol. « Dans des régions où il n’y a pas de cours d’eau, ces arbres peuvent servir pour s’hydrater, poursuit Fidèle. Ce sont également les premiers indicateurs de la reconstitution d’une forêt secondaire. »
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Hors période d’inventaire, Fidèle assure le suivi phénologique (étude du comportement des arbres). Gérant sur le terrain le dispositif depuis 20 ans, il semble connaître chaque arbre par cœur. Chacun a d’ailleurs un curriculum clairement détaillé. Perte de feuilles liée ou non à la saison des chenilles, troncs tordus, etc. « Avant, les campagnes d’inventaire se faisaient avec des fiches manuelles, explique Félix. Et maintenant, nous avons des tablettes et une application développée par le Cirad, qui simplifie énormément le travail. »
Un dispositif quasi jamais interrompu
Aussi surprenant que cela puisse paraître, malgré les nombreux troubles politiques qui ont secoué le pays depuis les années 1980, le dispositif ne s’est presque jamais interrompu. La simplicité du processus explique probablement cette longévité, devenue le principal atout de ce dispositif. Après 32 ans d’inventaires, de comparatifs avec les parcelles témoin, et d’autres expériences menées sur certaines parcelles (dont les essences non économiques ont été dévitalisées), le site de Mbaïki est devenu une référence pour toute la sous-région. Plusieurs doctorants l’ont utilisé pour rédiger leurs thèses, et il s’insère désormais dans d’autres programmes de recherche de la région.
Mais le verdict de la recherche n’est pas toujours celui attendu par les exploitants. Avec la durée de trente ans communément admise – et inscrite dans le code forestier – pour la régénération à l’intérieur d’une assiette de coupe exploitée, « le taux de reconstitution n’est pas suffisant, insiste Félix, même si cela ralentit le déclin des essences exploitables. » Quelle serait alors la bonne durée ? « C’est impossible de le prévoir, c’est à la forêt de nous le dire. »