Depuis un an et demi, la protection civile centrafricaine peut compter sur plus de 140 sapeurs-pompiers volontaires pour intervenir à tout moment. Un corps en pleine formation, mais qui manque cruellement de moyens. Reportage.
De notre correspondant en Centrafrique,
Comme des ombres, à la lueur de réverbères, les sinistrés du camp Delacourt se regroupent pour le repas du soir. Sur les seules communes de Bangui et Bimbo, la crue de la rivière Oubangui a fait plus de 15 000 déplacés. À la tombée de la nuit, un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) rouge de la protection civile se gare à proximité du camp. Ils seront quatre de vacation cette nuit-là. Ces inondations constituent leur première intervention d’ampleur depuis qu’ils ont intégré le processus de formation des sapeurs-pompiers volontaires (SPV).
Pour Mansour, chef d’agrès (responsable du maniement d’un camion), la question de devenir sapeur-pompier volontaire ne se posait pas. « Dieu nous a donné la force, il faut venir en aide à ceux qui ne l’ont pas », affirme-t-il. Originaire du IIIe arrondissement, où se trouve le quartier sensible du PK5, ce jeune amateur de basket de 25 ans, qui gagne sa vie comme couturier, a connu son épreuve du feu pendant la crise de 2013. Bénévole à la Croix-Rouge centrafricaine, il menait alors des blessés dans des centres de soin. De là sont nées sa vocation et son envie de s’inscrire à la formation des SPV, il y a un an et demi. Il a vu l’arrivée des inondations comme une opportunité d’appliquer ce qu’il a appris. « Il y a six jours, nous avons évacué une petite fille de 10 mois qui était gravement malade. Elle va bien aujourd’hui. Ça fait vraiment plaisir », poursuit-il avec un brin de fierté.
Un rôle primordial
Évacuations de blessés ou de malades, montage d’abris, nettoyage des sites de transit, « les SPV ont joué un rôle primordial dans les premiers secours à nos concitoyens, affirme le maire de Bangui, Émile Gros Raymond Nakombo, très reconnaissant. Ça a été un véritable soulagement pour les populations de Bangui. »
Les inondations auront également été l’occasion de renforcer le matériel de la protection civile centrafricaine. Deux VSAV fournis par l’ONG Pompiers humanitaires français (PHF) ont été acheminés via Douala, au Cameroun, même si des équipements ont été pillés en route. Ils compléteront la petite flotte d’engins de la protection civile, qui ne part de rien ou presque. « Il existait les Sapeurs pompiers de Bangui, un corps militaire dont les locaux ont été totalement vandalisés en 2013-2014 », explique le Lieutenant-Colonel Philippe Risser, coopérant militaire technique et chef de projet protection civile. La coopération française a également aidé à la reformation du bataillon, mais s’est très rapidement concentrée sur la composante civile.
La France en appui
« La Direction générale de la protection civile (DGPC), qui dépend du ministère de l’Administration du territoire, a été reformée durant la transition, mais vivotait à l’état d’embryon », poursuit Philippe Risser. De nouveaux locaux fournis par la mairie de Bangui ont été réhabilités, ainsi que deux centres de secours dans le VIe et VIIe arrondissement, avec l’appui de l’ambassade de France. Et surtout, le gouvernement a pu lancer un appel pour la formation de deux bataillons de sapeurs-pompiers volontaires, dont la première série a débuté en mars 2018. Ils sont près de 140 désormais à avoir suivi ce cursus, et devraient être entre 250 et 300 d’ici fin 2020.
Médard, grand gaillard longiligne de 32 ans, au visage anguleux, est le conducteur du VSAV. « Je vois pas mal de choses qui se passent dans le pays (les conflits, les violences, etc.), et ça me fend le cœur. Je veux aider les gens, mais sans prendre parti », lâche ce technicien touche-à-tout. Médard et Mansour veulent tous les deux, bien sûr, faire de cette vocation leur métier. Mais parmi tous les sapeurs-pompiers volontaires, seule une trentaine d’entre eux pourront passer professionnels. Et la formation est la clef.
Des entraînements intensifs
Deux jours plus tard, autre décor. Au milieu des hangars, des containers et des véhicules blindés, nous retrouvons Mansour au camp militaire français de Mpoko, où se déroulent les entraînements des SPV. Aujourd’hui, les chefs d’agrès sont évalués sur leur capacité à combattre des feux de brousse, simulés ici par des fumigènes et des bandeaux rouge et blancs. Mansour dirige ses hommes, explique aux instructeurs sa stratégie, gère les renforts. Il n’est pas seul. Sur les huit SPV à passer ce test, seuls trois seront retenus. Romaine, 26 ans, est la seule femme aujourd’hui. Petite mais énergique et volontaire, elle semble sûre de ses décisions, même si elle doit s’affirmer dans ce monde très masculin.
Mansour et Romaine ont réussi leurs tests, une étape de plus dans leur formation. Ils devront bientôt retourner sur le front des inondations. Avec la décrue, les sinistrés voudront retourner chez eux, mais il va falloir opérer une grosse opération de nettoyage auparavant et veiller à vérifier la solidité des maisons.
Feux de brousse ou urbains, intempéries : les besoins sont aussi énormes que les moyens limités. Un centre de secours devrait être implanté prochainement au cœur du PK5. « Un endroit stratégique, explique Philippe Risser, puisque c’est le poumon économique de Bangui. » Pour Mansour, travailler dans cet environnement où les groupes d’autodéfense continuent d’imposer leur loi ne pose pas de souci. « Même eux, nous appellent pour nous signaler des départs de feu », affirme-t-il. Un plan national de développement est également en projet, avec à terme la création d’un Centre national de coordination des secours.
« Il faut qu’il y ait un budget conséquent pour les appuyer, souligne cependant le maire de Bangui. La France nous a beaucoup soutenus, mais nous devons pérenniser cela par nos propres efforts. » Le gouvernement, lui compte également sur le développement d’une « culture de la protection civile au sein de la population ».