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POLITIQUE

Affaire des 15 millions en RDC: malaise à la présidence

C’est un pavé dans la mare de la rentrée politique congolaise. Depuis plusieurs semaines l’affaire dite des « 15 millions » de dollars présumés disparus des comptes du Trésor, défraie la chronique en RDC et éclabousse la présidence congolaise. Le tout-puissant directeur de cabinet du chef de l’État, Vital Kamerhe, qualifié par ses détracteurs de « président bis », figure parmi les quatre personnalités que l’Inspection générale des Finances (IGF) tient pour « responsables » dans cette affaire. Où en est cette enquête ? Que sait-on, jusqu’à présent, des responsabilités des uns et des autres ? Patient Ligodi et Florence Morice retracent le fil de cette affaire, qui embarrasse visiblement la présidence, et en dévoilent ses soubassements politiques. LES FAITS MARQUANTS
  • Un mois et demi après le début de cette affaire dite des « 15 millions », le président, Félix Tshisekedi n’a pas fait une déclaration sur le sujet. Un silence que plusieurs acteurs de la société civile dénoncent. Ils rappellent au chef de l’État sa promesse de faire de la lutte contre la corruption l’un des principaux chevaux de bataille de son mandat.
  • RFI a eu confirmation que le parquet près de la Cour de cassation, saisie de cette affaire le 31 juillet par l’Inspection générale des Finances, a bel et bien ouvert une enquête préliminaire. Dans une interview à Jeune Afrique, Vital Kamerhe, directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, qui nie toute implication et l’existence même d’un « détournement », assure, lui, que l’affaire aurait été « classée sans suite » par l’inspecteur général de la brigade contre les crimes économiques.
  • Vital Kamerhe a également stoppé deux autres enquêtes lancées par l’IGF, dont l’une sur l’ensemble des dépenses des ministères depuis l’investiture de Félix Tshisekedi, initiée à la demande de l’ANR (l’agence nationale de renseignement) pour « des raisons impérieuses de sécurité d’État ».
  • Ce climat de soupçon de « détournements de fonds » à répétition fragilise le chef de l’État congolais. Les bras de fer que suscite cette série d’enquêtes révèlent les luttes intestines à l’œuvre au sein de l’appareil d’État entre les défenseurs de Vital Kamerhe qui dénoncent « une cabale », et ceux qui lui reprochent de se comporter en « président bis », de tirer le chef de l’État « vers le bas », et poussent Félix Tshisekedi à la rupture avec son allié.
  • Sous la pression des attentes des Congolais et de la communauté internationale, le chef de l’État est face à un « dilemme », estime Trésor Kibangula, analyste au GEC (Groupe d’études sur le Congo).
QUEL EST LE PROBLÈME ? Le détournement présumé d’une somme de 15 millions de dollars américains. De l’argent public qui, selon l’Inspection générale des Finances, aurait dû être placé dans les caisses de l’État à la Banque centrale, mais a été viré en mai dernier - à la demande du ministre de l’Économie par intérim Henry Yav Mulang - sur un compte ouvert dans une banque privée, la Rawbank, au nom du Comité de suivi des prix des produits pétroliers, que préside le ministre, et d’où cet argent a depuis été presque intégralement retiré en liquide. Pour quel motif ? Où est passé cet argent ? C’est la question que se pose l’IGF mais aussi la justice, qui a ouvert une enquête préliminaire sur le sujet. 1- À QUOI CORRESPONDENT CES 15 MILLIONS ? Ces 15 millions de dollars correspondent à 15% de retenue effectuée par l’État congolais sur une somme de 100 millions de dollars empruntés par la RDC et destinés à l’origine à plusieurs compagnies de distribution de pétrole, en compensation notamment du gel des prix à la pompe en 2017, décidé par l’État congolais face à la flambée des prix du pétrole. Selon l’IGF, c’est le ministre de l’Économie par intérim qui en fait la demande à la Banque centrale par courrier en date du 16 mai. Si du côté de la présidence on affirme que le principe de cette retenue qualifiée de « décote » est une pratique « courante », plusieurs sources affirment aussi que cet argent aurait dû être placé sur les comptes du Trésor public à la Banque centrale et non dans une banque privée. Une source proche de l’enquête indique également que cette « décote » de 15 millions aurait dû faire l’objet d’une « entente avec les pétroliers » et d’une réunion de l’ensemble du Comité de suivi des prix pétroliers, mais que cela n’a pas été le cas. La justification de cette décote et les circonstances dans lesquelles elle a été décidée restent « floues », affirme cet interlocuteur. 2- QUELLES SONT LES CONCLUSIONS DE L’ENQUÊTE DE l’IGF ? L’Inspection générale des Finances est une institution publique qui dépend directement du chef de l’État, mais jouit d’une indépendance administrative et financière. À ce titre elle est habilitée à mener des enquêtes sur les dépenses des institutions publiques. Le 17 juillet, l’IGF, alertée sur des soupçons d’anomalies dans ce dossier de compensation financière à des compagnies pétrolières, a initié une enquête. Les conclusions de cette enquête figurent dans un rapport de neuf pages daté du 31 juillet que RFI a consulté. Cette enquête a été réalisée sous la supervision de Marcellin Bilomba, conseiller principal du chef de l’État pour les affaires économiques et financières. Il en ressort que, selon l’IGF…
  1. … les 15 millions de dollars n’auraient pas dû être versés sur le compte du Comité de suivi des prix des produits pétroliers. C'est une « irrégularité qui n'est pas dans l'intérêt du Trésor public » et « viole les dispositions légales et règlementaires régissant les finances publiques », écrivent les auteurs du rapport. Ils demandent « le reversement de la décote au Trésor » ainsi que « l’audit des comptes du Comité de suivi des produits pétroliers ».
  2. … la quasi-totalité de ces 15 millions, 14 775 000 dollars précisément, ont été retirés en plusieurs fois au entre le 27 mai et le 7 juin. D’abord quatre millions de dollars, puis cinq, 1,5 millions, 500 000, trois millions et enfin 750 000. À chaque fois, il s'agit de retraits en liquide.
  3. … le ministère de l’Économie n’a pas mis à la disposition des enquêteurs « les pièces justificatives de l’utilisation » de ces 15 millions de « décote ».
  4. …. la Rawbank a eu des « réticences » à lui fournir des éléments importants pour tracer la destination des fonds, affirmant ne pouvoir le faire « sans une réquisition judiciaire », ces pièces mettant « en cause des tiers ».
  • Face à ce qu’elle qualifie d’« obstructions », l’IGF saisit dès le 31 juillet 2019 le parquet de la Cour de cassation pour qu’il use de ses pouvoirs « plus contraignant » pour « approfondir les investigations » sur la disparition présumée de ces 15 millions de dollars.
3- LES PERSONNALITÉS CITÉES DANS LE RAPPORT DE L'IGF Selon l’Inspection générale des Finances, les « responsabilités » peuvent être établies comme suit :
  1. Henry Yav Mulang, le ministre de l’Économie par intérim, est la personnalité qui, selon l’IGF, signe en date du 16 mai une lettre adressée à la Banque centrale demandant à ce que soit retenue cette décote de 15% sur l’argent destiné aux pétroliers, et à ce que cet argent soit versé sur le compte du Comité de suivi des produits pétroliers, ouvert à la Rawbank.
  2. Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du chef de l’État Félix Tshisekedi, est la personnalité qui, selon l’IGF, dès le10 mai 2019, soit avant la lettre du ministre de l’Économie, demande aussi à ce que l’argent de la décote soit transféré sur un compte privé, ouvert également à la Rawbank. Seule différence : toujours selon l’IGF, il demande ce transfert sur un autre compte, celui du Comité de suivi du programme du président de la République, qu’il préside. La Banque centrale verse finalement l’argent sur le compte du Comité de suivi des prix des produits pétroliers. Pourquoi ces ordres contradictoires ?...   

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