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Les Éditions Oubangui redonnent vie à la littérature centrafricaine

Les crises successives ont privé les auteurs de la possibilité d’être édités en Centrafrique depuis plus de trois décennies maintenant. Un groupe de jeunes a décidé de relever le défi, et a créé une petite maison d’édition, avec pour objectif de redonner goût à l’écriture et à la lecture.

De notre correspondant à Bangui,

« Si, sur la grande Histoire de cette minuscule localité perdue au cœur de l’immense Afrique, le profane que nous sommes ne trouve pratiquement rien à dire, il devient subitement intarissable, volubile et quelquefois envahissant dès lors que l’occasion lui est donnée de se raconter, de raconter les petites histoires de chez nous, les anecdotes […] qui constituent le tissu continu de la vie de chacun et de la vie de tous les jours. » (Étienne Goyémidé, Le dernier survivant de la caravane, 1984)

Derrière leurs bureaux, des enfants de seconde et de première de l’école Poullart des Places écoutent Landry Ouoko, qui leur expose l’objet de son dernier ouvrage. Une suite de petits livrets d’une vingtaine de pages, Orange Love Story. Des histoires qui les interpellent, qui abordent la « sexualité responsable », ou encore les moyens de communication modernes, et utilisent un vocabulaire familier, brassant le français ou l’anglais avec le sango, la langue nationale.

« Bûku Na Maboko » (« Livre en main ! »), rappelle à l’ordre Landry à chaque fou-rire. Et ils sont nombreux lorsqu’on aborde des sujets tels que l’amour adolescent. Les éditions Oubangui avaient fourni 10 ouvrages à l’école pour que les élèves se les échangent avant la rencontre, mais 5 ont disparu. « Les livres les plus appréciés sont le plus souvent les livres volés », soupire Landry en souriant.

Des clubs de lecture et des bibliothèques dans les écoles

« Nous avons créé les Éditions Oubangui en 2017, explique-t-il. Et, depuis, nous avons aidé à la création de clubs de lecture dans 12 établissements scolaires de Bangui. Ce sont ces clubs qui organisent au sein de leur établissement des rencontres littéraires autour de nos écrivains, et d’autres activités. Cela n’a pas été simple. Certains responsables d’écoles ne voulaient pas sortir des programmes scolaires. D’autres voulaient toucher de l’argent. Des parents aussi refusaient de laisser leurs enfants aller au club, estimant que c’est une perte de temps. Pour stimuler les élèves, précise Landry, les Éditions Oubangui s’engagent à financer une petite bibliothèque dans l’établissement, dès que le club dépasse 50 adhérents. » Plus qu’un cadeau, un luxe en Centrafrique.

Néanmoins, c’est avant tout pour aider les auteurs nationaux à être publiés que Landry et cinq autres jeunes Centrafricains ont créé les Éditions Oubangui. Jusque dans les années 1980, la culture centrafricaine rayonnait encore en effet de noms d’écrivains illustres, comme Étienne Goyémidé, ou Pierre Sammy Mackfoy, dont les livres font encore aujourd’hui partie des programmes scolaires. Mais au fil des différentes crises politiques et sécuritaires qui se sont succédé dans le pays, les auteurs n’ont plus été édités, et la littérature centrafricaine était en voie de disparition.

« Depuis, il n’y a pas eu de relève, confirme Landry. Les auteurs centrafricains peinent à retrouver ce lien avec la littérature de leur pays. Mais nous voulons aussi que l’auteur s’y retrouve financièrement. C’est pourquoi le pourcentage minimum qu’il touche sur chaque vente est de 25%. » Les tirages se font par 50 exemplaires jusqu’à épuisement, avant d’être réédités si la demande est là.

S’ils ont toujours une vocation d’utilité publique, leur démarche s’inscrit de plus en plus dans une optique commerciale. « Depuis cette année, les Éditions Oubangui ont décidé de mettre en place un volet plus « business » pour rentabiliser ces auteurs, qui permettent à la boîte de tourner et à la littérature centrafricaine d’avancer », poursuit Landry.

Dans la salle de classe, la rencontre touche à sa fin. Les questions fusent : « Pensez-vous que la justice soit la meilleure solution pour résoudre les questions d’amour ? » Landry répond du mieux qu’il peut, abordant pêle-mêle les questions de mariage forcé, d’excision, ou encore de discrimination. Les responsables du club de lecture ne sont pas épargnés par les élèves. Interrogée sur la faible affluence au sein du club par rapport à d’autres activités comme la musique ou le sport, Sarah, élève en seconde et vice-présidente du club, répond non sans un certain aplomb : « Le siècle présent est notre rival. »

Faire naître des vocations

En Centrafrique, ceux qui ont la chance d’accéder à ce niveau d’études (moins de 10% des enfants ont été enregistrés en second cycle du secondaire en 2018, selon le ministère de l’Éducation) proviennent bien souvent, comme Sarah, de milieux aisés. Et du haut de ses 18 ans, après avoir longuement hésité à embrasser une carrière de diplomate comme son père, elle souhaite désormais devenir docteur en économie. Mais, affirme-t-elle, « cela ne m’empêchera pas de devenir demain une écrivaine, un auteur. Je sens que j’ai quelque chose en moi qui fait allusion à la littérature. C’est la racine de toute chose ».

Le censeur de l’école Poullart des Places, Léandre Amadou, est ravi de ces activités littéraires. « Il faut former les enfants afin qu’ils aient du talent pour affronter l’avenir », philosophe-t-il, avant de confirmer la vertu éducative de ces occupations : « Il y a trois ou quatre semaines, il y a eu une compétition de français entre les établissements de la capitale, et nos élèves étaient parmi les meilleurs ».

Une autre élève, au fond de la classe, interpelle directement Landry : « Vous nous aviez parlé d’un concours d’écriture, peut-on encore participer ? » Cette compétition annuelle de nouvelles, ouverte à tous, a été lancée en 2017 par les Éditions Oubangui.

La première avait clairement un objectif cathartique, les participants devant écrire un texte court sur la crise sécuritaire de 2013. Les textes reçus ont été compilés dans un ouvrage collectif, L’Empereur et ses balles perdues, qui est toujours l’une des meilleures ventes des Éditions Oubangui. Cette année, c’est la devise du pays qui fait office de thème principal : « Unité, Dignité, Travail ». Mais, prévient Landry, la compétition sera plus relevée. Le jury sera beaucoup plus exigeant avec ce qui constitue peut-être déjà la nouvelle génération des auteurs centrafricains.

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