Presque deux mois après la chute du président Omar el-Béchir, le Soudan fête le ramadan dans une ambiance inédite. Civils et militaires putschistes sont dans un bras de fer pour savoir comment se partagera le pouvoir durant la transition. En attendant, les Soudanais du sit-in, le centre névralgique de la révolution, à Khartoum, respectent le mois saint et organisent la révolution autour de l’iftar, la rupture du jeûne.
Il est 18h15 environ. Le muezzin lance « Salaat al maghrib », la prière du soir. Après une journée sans boire ni manger, les manifestants rompent le jeûne et reprennent des forces pour une longue nuit à la gloire de la révolution, témoigne Mariam Abdallah, étudiante de 23 ans : « La journée on est fatigués. Il fait chaud et on jeûne. C’est dur de manifester. Les gens dorment sous des tentes avec des ventilateurs. Il ne se passe rien. La nuit c’est l’inverse. On vient de manger, on a de l’énergie et on redevient enthousiastes. »
Partout au sit-in, les gens chantent, crient des slogans, organisent des concerts et des débats. C’est le cœur de la révolution qui se remet à battre. Marwan Al Kanzi, membre de l’APS, l’organisation en pointe du soulèvement, explique le déroulement de la journée : « On vit autour des horaires du ramadan. Les gens dorment jusqu’à 13h. Ensuite ils préparent à la fois la nourriture pour l’iftar et les activités de la nuit. Comme ça, après le repas, chacun sait ce qu’il a à faire. Ce ramadan est vraiment particulier. C’est notre premier sans Omar el-Béchir ! »
Le jeûne et la température au-delà des 40 degrés la journée mettent les corps à l’épreuve. Mais pour Mustafa Babicar Adam, ce n’est pas suffisant pour abandonner les idéaux de la révolution : « Les militaires pensaient qu’on rentrerait chez nous à cause de la chaleur. Ils pensaient qu’on ne tiendrait pas. Mais on a réussi. On n’a pas abandonné. Et on restera jusqu’à ce qu’on fasse respecter nos droits. »
Le ramadan va bientôt s’achever. Les manifestants vont repasser à une révolution diurne, en espérant que leur détermination aura prouvé aux militaires qu’il fallait céder le pouvoir.
■ Le sit-in, lieu de représentation de toute la société civile
Dans le centre de Khartoum, les manifestants ont installé un sit-in, en face du QG de l’armée. Des milliers de personnes y vivent en permanence. Au fil des jours le lieu s’est structuré de plus en plus et il regroupe désormais des dizaines de tentes représentant tout un tas d’organisations, soucieuses de montrer leur soutien au mouvement.
Corporations, associations, institutions, etc., c’est toute la société civile soudanaise qui est représentée au sit-in. Ce quartier de la révolte est installé au bord de l’université, zone historique de contestation longtemps surveillée par l’ancien régime. L’association des étudiants a donc logiquement monté une tente, comme l’explique Chirin Ibrahim : « On affiche la valeur de nos membres qui se sont révoltés très tôt. Et avec une tente, on note aussi clairement notre participation à l’effort collectif. »
Différentes villes ou quartiers sont aussi représentés. Leurs abris ressemblent à des centres de liaison avec leurs lieux d’origine. La zone de Shambat à Khartoum a, par exemple, une cinquantaine de personnes réparties en comités et sous-comités, constamment présents au sit-in.
« À Shambat on manifestait, mais on était isolés, raconte Mohamed Siddiq Awad. On transmet chez nous les discours, les slogans, les nouvelles et les annonces. On fait l’inverse aussi. Si Shambat a des revendications, on essaie de les faire connaître ici. »
Pour beaucoup de civils, ce sit-in est inédit au Soudan. C’est ici que s’écrit l’histoire. « On a soutenu la révolution dès le départ. C’est pour montrer notre importance, notre poids. Tout ce qui se passe au sit-in, c’est du jamais vu et le monde s’en souviendra. Les gens se rappelleront que les ingénieurs étaient aussi présents », explique Al Fatah Omar Awad, de l’association des ingénieurs agricoles.
Toutes les tentes apportent leur pierre à l’effort collectif, servant des repas, organisant des débats, des discours. Pour les civils, le sit-in est devenu un microcosme du Soudan post-Bechir.