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Semaine de la Critique à Cannes: «La nouvelle génération de l’Afrique du Nord»

C’est ici que des géants du cinéma comme Wong Kar Wai ou Jacques Audiard ont été révélés au grand public. Au Festival de Cannes, la section parallèle de la Semaine de la Critique entreprend depuis 1962 un travail de fond pour dénicher les grands cinéastes de demain et les nouvelles tendances cinématographiques. Du 15 au 23 mai, la 58e édition propose des films venus du monde entier, de France, du Costa Rica et du Guatemala, mais aussi d’Algérie, du Maroc ou d’Égypte… Entretien avec Charles Tesson, délégué général de la Semaine de la Critique.

RFI : La Semaine de la Critique est traditionnellement dédiée aux premiers et aux deuxièmes films. Avez-vous découvert de nouvelles écritures cinématographiques cette année ?

Charles Tesson : C’est ce qu’on recherche tous les ans, une nouvelle manière d’appréhender de nouveaux sujets. Ce qui nous a frappés cette année, c’est la très bonne qualité de la nouvelle génération qui arrive dans le cinéma du Maghreb et de l’Afrique du Nord. Nous avons sélectionné deux films : un du Maroc, Le Miracle du Saint Inconnu, d’Alaa Eddine Aljem, un autre de l’Algérie, Abou Leila, d’Amin Sidi-Boumédiène. Ce sont deux films à la fois très forts et qui nous ont plus par leur ton, leur esthétique et la manière de traiter des sujets importants de la société de leur pays, mais aussi en général.

C’est très stimulant de voir cette nouvelle génération qui continue le cinéma de leurs aînés, mais apporte d’autres propositions esthétiques et formelles. Par exemple, Le Miracle du Saint Inconnu est plus un conte, une fable, avec beaucoup de légèreté, d’humour et de délicatesse. Cela nous dit très bien les enjeux de l’argent, la paupérisation de la population. C’est l’histoire d’un village qui prospère grâce à la religion et le pèlerinage et comment, tout d’un coup, cela s’orchestre avec une petite morale assez malicieuse.

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Et Abou Leila d’Amin Sidi-Boumédiène ?

C’est un film extrêmement fort et ambitieux qui revient sur les années terribles de la guerre civile, les années sanglantes des années 1990 en Algérie. Mais, il le fait presque comme un road movie américain des années 1970, avec deux policiers où l’on ne sait pas trop s’ils suivent ou s’ils fuient le terrorisme ou s’ils cherchent un terroriste dans le désert du sud algérien. Tout d’un coup, le film bascule dans la folie. C’est un film très action à l’américaine avec de grands espaces dans le désert. Appréhender cette période, montrer comment un pays rend fou et comment le massacre est arrivé, cela nous a beaucoup stimulés.

L’autre point fort de l’édition 2019 est la programmation de films de pays peu identifiés. Nuestras Madres, de César Diaz, vient de Guatemala, Ceniza Negra (Cendre Noir), de Sofia Quiros Ubeda, de Costa Rica. Ce sont des pays sans infrastructure cinématographique et sans politique du cinéma où de jeunes cinéastes d’une trentaine d’années commencent à faire des choses extrêmement étonnantes et fortes.

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À la Semaine, il y a des films d’Algérie, du Maroc, mais aussi d’Égypte avec le court métrage Fakh (The Trap), de la réalisatrice Nada Riyadh. Cela signifie-t-il un renouveau du cinéma maghrébin et nord-africain ?

Oui, et on peut le constater aussi à la Quinzaine des réalisateurs et à Un certain regard. Il y a des propositions cinématographiques qui vont dans d’autres directions et qui sont très impliquées et concernées par rapport à l’état de leurs pays. Ce ne sont pas seulement des cinéastes qui font des films, mais il s’agit d’un vrai renouveau du cinéma au travers d’une génération qui a aujourd’hui une trentaine d’années. Et c’est très important que Cannes les accompagne.

Parmi les films très attendus, il y a Tu mérites un amour, le premier long métrage de Hafsia Herzi, projeté en séance spéciale. Est-elle aussi attachante en tant que réalisatrice que comme actrice ?

Le film est extrêmement attachant. Il est d’une simplicité, d’une grande douceur, d’une grande justesse. Elle a trouvé un ton juste qui lui ressemble beaucoup, qui lui est propre et qui n’est pas sous influence d’Abdellatif Kechiche, autrement de ce qu’on pourrait penser, parce qu’elle a beaucoup travaillé avec lui. C’est un film qui parle de la vie amoureuse et sentimentale d’une jeunesse aujourd’hui, sans en faire une contradiction entre tradition et modernité. Elle dépasse toutes ces histoires.

Personne ne connaissait l’existence de ce film. On savait qu’elle préparait un long métrage intitulé Bonnes Mères, mais ce film restait bloqué ou suspendu. Et elle nous a envoyé un SMS comme quoi elle avait tourné un film avec des amis sur quelques jours en été dernier, avec un budget de mille euros. Elle nous demandait si l’on voulait regarder ce film. On l’a vu et beaucoup aimé. Cela n’a absolument pas l’air d’un film autoproduit ou fauché. Il est extrêmement bien réalisé et maîtrisé. C’est une très belle découverte.

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Lors de la présentation de la sélection officielle du Festival de Cannes, Thierry Frémaux avait décidé : pas de film Netflix en compétition, s’il ne sort pas en salles en France avant d’être mis sur la plateforme. La Semaine de la critique a sélectionné onze films, dont sept en compétition. Quelle est votre règle d’or par rapport à Netflix ?

Il y a deux configurations Netflix. D’abord, il y a le film produit par Netflix, et il y a le film acheté par Netflix, une fois qu’il est produit et diffusé. Chez nous, il y a deux cas : soit on invite un film, et une fois qu’on l’a invité on apprend que Netflix l’a ensuite acheté. Mais la règle est de privilégier de ne pas prendre des films Netflix, car Netflix prend des cinéastes connus, mais il ne fait pas le travail de planter la graine et de faire pousser les cinématographies ou les cinéastes. Nous, on y tient à ce travail. Pour nous, c’est sacré.

La sélection de la 58e Semaine de la Critique, du 15 au 23 mai, au Festival de Cannes

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